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L'esprit fureteur

L'esprit fureteur - Théorie - Sémiologie du poème (1)

Fureter : traquer le hasard


« La poésie est un vaste calembour. Le poète associe, dissocie, retourne les syllabes du monde. Mais peu de personnes le savent. Peu de personnes sont assez souples pour sauter d’un plan sur l’autre et suivre la manoeuvre foudroyante des rapports. » Jean Cocteau, Carte blanche, Paris, éditions de la Sirène. Cité dans Jean Cocteau - L’empreinte d’un poète - Bernard Chauveau Editions



À propos de la sémiologie du poème

par Pierre Lamarque


J’ai lu les exposés de messieurs Riffaterre et Laflèche sur la sémiotique du poème, parus sur le panneau d’affichage du dépôt et j’ai ainsi appris des mots et des concepts de ce vaste et ce petit monde, de ce petit et ce vaste chapitre de la connaissance de la poésie …


Cette lecture m’a permis de relativiser l’importance que j’accordais à la sémiotique du poème pour pourvoir dire 'ceci est un signe de poème, ceci ne l’est pas'. Ce n’est pas vers la sémiologie qu’il faut se tourner pour savoir si un texte donné est un poème ou pas.


La vraie question qui se pose, porte sur la nature humaine du poème. Il s’agit de demander : « Qui est le poème ? » 


« Qui est le poème ? » . Je crois que l’on peut répondre à la question « Qui est le poème ? », à condition de procéder ainsi :


1) Subjectivement : évaluer (de 0 à 5 étoiles subjectives) le niveau d'affinités éprouvées à la lecture du texte.

2) Objectivement : évaluer (de 0 à 5 étoiles objectives) le niveau de signifiance, le niveau de fonction signifiante du texte, décelé à la lecture du texte.

3) faire la moyenne des deux évaluations, extraire la racine carrée de la moyenne, la multiplier pour x raisons. Considérer qu’à partir de l’impression générale qui surgit de la racine carrée de la moyenne multipliée pour x raisons, ceci est un poème et par conséquent il peut être retenu dans la revue Lpb. 


N.B. Le niveau de fonction signifiante se note de 0 à 5 selon qu’on peut décrire objectivement la polysémie d'un texte organisée en strates de signifiance, autrement dites strates sémantiques, de zéro à cinq strates.  




À propos de la sémiologie du poème

Par Sandrine Cerruti


https://images.app.goo.gl/faHTALvUP8TxYLNV7 



Un exemple de schéma qui propose la vision du langage par le filtre sémiotique. 


Je pense que personne n'est parvenu à détrôner Riffaterre. Il semble demeurer, en matière de poésie, celui qui a énoncé, dans cette discipline qui te parle, une suite de concepts qui s'enchaînent avec rigueur et qui a eu l art de les illustrer. Je comprends que l'approche sémiotique puisse te parler car, très développée au moment où la french théorie a cartonné, elle était très mêlée à la psychanalyse. Quel est le dit du dire ? Quels signes disent les signes planqués sous les signes ? De quoi le sujet parle-t-il ? Quel dire se cache derrière l'écran du dire ? Le plus bel exemple en est Kristeva. Elle fait de la création verbale poétique, un authentique acte de liberté. Et elle peut s'en jouer. J'adore la dimension insaisissable de cette femme. Maîtresse ès langue, langage, verbe, parole, dit, énoncé... Une experte de l'imbroglio sémiotique... Un être sacrément libre ... Un recul immédiat ... Une présence déjà devant... Une présence dans un partout qui est l'ailleurs... Comme Rimbaud.

 

J ai commandé son ouvrage sur sémiotique et poétique. Tout tourne autour de sujet, signifiant, signifié, signifiance, signe. Chacun, psychanalyste, linguiste, sémioticien, tente de trouver un chemin d'accès éclairant dans l'obscur empire des signes. Le but étant d essayer d entrevoir, de discriminer, tous les vecteurs formant signe. Ils tentent de se placer au coeur de la dynamique producteur de signes, récepteur de signes, afin de tenter de saisir un peu de ce qui arrive au moment de la rencontre entre l'énonciateur et son système de mise en codification, son système de mise en signes et le récepteur. Que reçoit l'énonciataire ? Comment cette circulation fait sens, crée du sens, dérape, dévie, transgresse, délire ? 


Le poème a ceci de particulier, c'est qu'il est un concentré de signifiance. Il permet de faire circuler cette haute concentration signifiante entre le poète et son lecteur. Riffaterre sort sa combinaison de protection et cherche à s'introduire au coeur du réacteur de la création poétique. Il tente de comprendre comment fonctionne cette alchimie tellement ciselée, concise et chargée en puissance de sens. Chaque poème est une caisse de poudre. ☠️ Attention! Densité sémiotique dangereuse ! Cela rejoint notre goût partagé pour l'esprit de synthèse. 


Lorsque j'ai abordé, en mon jeune temps, la sémiotique en sciences du langage, c'était amusant. Le professeur nous a appris à décrypter La Fontaine grâce à l'usage interprétatif de carrés sémiotiques. Ils permettent de mettre à jour la très grande complexité d'énonciation de la fable. Qui parle à qui ? De quoi ? Comment ? Au moyen de quels signes ? Comment ces derniers se croisent-ils et pour créer quel niveau d'intensité de signifiance ? Y-a-t-il un message intentionnellement caché ou pas ? Un narrateur, des personnages, une morale... Tout un système de strates sacrément enchevêtrées pour passer à l'as afin d'éviter la censure. Un apologue grand siècle est un système complexe de signes qui fonctionnent en système de paravents à effet dominos : c'est une bonne garantie contre la lettre de cachet. Cette immense prudence était plutôt conseillée en période de haute censure. Comment joue-t-on la carte du non-dit-disant-tout? Cela demande un sens ultra subtil du déploiement discret et complexe des signes en direction d'une signifiance, pourtant bien présente dans sa visée critique, mais bien planquée.


Là où le décryptage sémiotique opère fabuleusement, c'est chez Marivaux par exemple. Il existe, bien évidemment, une approche sémiotique du texte de théâtre, c'est la plus efficace pour mettre à jour l'enchevêtrement des signes théâtraux. Parfait pour s'y retrouver dans les méandres du marivaudage ! Son théâtre n'est rien moins qu'une métaphysique de l'amour. La parole, sa complexité, celle spécifique aux codes constitutifs du verbe théâtral, a pour but de toujours faire surgir une sorte de vérité du sentiment amoureux, enfin à l'instant T du dénouement, lequel laisse imaginer une suite potentiellement marivaudeuse. Marivaux est, en quelque sorte, un auteur de la métaphysique amoureuse. La sémiotique permet, par exemple, d'aller explorer les procédés complexes d'une écriture pour le théâtre. 


Le sémioticien adore s'attaquer aux tenues de camouflage pour les faire parler, les révéler... Mais, c'est sans compter sur l'immense liberté des créateurs... Qui peut prétendre interpréter pleinement un poème des Illuminations ? Et pourtant, leur réception est puissante et ne donne pas un sentiment de délire verbal ? Ah! Hermétique et herméneutique... 


Attendu que l'effet stylistique se compose de la surdétermination, de la conversion et de l'expansion, faisons une pause maintenant sur la conversion. 


La conversion : une distorsion faite à la mimésis ?


Riffaterre part, en quelque sorte, du principe que la grammaire est un système sémantique édicté par la régulation de la mimésis. La grammaticalité bien ordonnée s'organise autour d'un système stable de clichés. Or, Riffaterre pose le phénomène d'agrammaticalité comme le premier indice de créativité du poème à sa première lecture, réceptionnée sur le premier niveau dit heuristique. Il part du principe que " le texte poétique est toujours unique en son genre." Aussi, l'agrammaticalité fait-elle entorse au principe de mimésis. 


La conversion : un détournement.


La conversion est le phénomène agrammatical qui permet de repérer comment le texte poétique modifie l'attendu, le convenu, l'autoroute du cliché. Elle crée une sortie de route, une embardée sémantique. Aussi la phrase s'en retrouve-t-elle sémiotiquement altérée. Un double sens fait brèche : celui de l'attendu initial, distordu au moyen de la phrase détournée ou altérée. Le sens commun quitte le lit du fleuve. On peut, par exemple, évoquer l'anacoluthe qui consiste à créer des glissements, parfois à la limite du contradictoire. On assiste au tonneau sémiotique formé par la brutalité du procédé, comme Baudelaire le fit dans L'Albatros : "Exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l'empêchent de marcher." Ses ailes de géant ne laissent plus espérer l'échappée par l'envol du "l' " (un exemple de complément d'objet plus réifié que jamais, un belle expression de l' implacable transitivité directe, exprimant l'entrave suprême faite au poète ). Non ... Ses ailes de géant ne l'enfugueront pas. Le "l" apostrophe est piégé, privé de toute espérance de fuite, de fugue, de retour à son élément air. Le poète-Albatros est riveté au plancher des marins tortionnaires. Il est susceptible d'en crever. Un exemple parlant de la puissance resserrée du dire poétique ... Le poème déjoue la tranquillité, l'attendu mimétique ; il devient sémiosis et, ce, à la faveur d'un glissement de sens : celui de la phrase initiale transformée par l'inattendu. La conversion nous dit que le poète-oiseau meurt pour haut fait d'agrammaticalité. 


De la mimésis à la sémiosis


Le phénomène de conversion est l'expression la plus spectaculaire du glissement de la mimésis, en sémiosis. Aussi, fort de cette dynamique créatrice, le poème gagne-t-il en multiplicité, comme chez Apollinaire où l'absence de ponctuation permet de gagner en obliquité sémiotique " Sous le Pont Mirabeau coule la Seine / et nos amours / faut-il qu'il m'en souvienne "... Un bel exemple de multiplicité sémantique, de ceux qui ne font plus douter du discours poétique comme sémiosis.... Qu'est-ce qui coule ? La Seine ? Nos amours ? De quoi faut-il se souvenir ? Du fleuve ? Des amours ? C'est la force créatrice de la conversion, authentique garantie contre l'ennui du déroulement mimétique. Bienvenue dans la sémiosis, fleuve de créativité, parce que l'on ne s'y baigne jamais deux fois. 



Cher Pierre, pour rester dans la logique de ta question : que dit la sémiotique sur ce qui fait poème... Voici une nouvelle question que le lecteur peut se poser ?


N'y aurait-il pas quelque belle sortie de route dans ce poème... Quelque conversion ? 





À propos de l'évaluation du poème

par Constantin Pricop


Bien sûr que l'évaluation d'un texte littéraire reste subjective. Ça c'est evident. C'est pour ça que la sélection pour une revue, une maison d'édition, etc. se fait par une ou deux personnes qui présentent un certain degré de confiance pour une grande partie des lecteurs. Les lecteurs ont confiance dans leur choix - et ça sans obligation d'accepter tout ce qui est proposé. Mais en général ils acceptent leurs choix. Et dans le temps on peut voir s'ils sont dignes de cet investiture d'après le prestige, le succès de la revue, de la maison d'édition etc. 


Ça peut paraître pas trop… subtile, pas trop… élevé - mais reste la seule modalité abordable de travailler. (Je parle des textes d'une certaine qualité - parce que les mauvais sont identifiables par beaucoup, quand même…) C'est comme la confiance dans les critique d'art. On accepte leur opinion dans presque toutes les occasions. Même si après des… années on découvre qu'un tableau qu'ils ont validé est un… faux…


Mais comment arrive-t-on à la compétence de ces deux critiques qui font le choix pour tous les autres, c'est une autre histoire. Il faut avoir du talent pour percevoir les bons textes, c'est évident. Mais la sélection faite par la… subjectivité est plus que ça. Elle dépend du niveau d'éducation, de la quantité des lectures, de l'expérience avec de multiples cultures, de la capacité de s'adapter à plusieurs styles , etc. Même s'il a du talent pour percevoir la littérature, un lecteur qui est éduqué dans un esprit précis, disons… classique, fera une sorte de choix, un autre formé dans l'art surréaliste un autre - ça veut dire que le talent natif est formé et dirigé par l'éducation… L'éducation institutionnalisée à la mission d'uniformiser, d'égaliser les performances de ceux qui sont éduqués - mais pour bien voir la littérature il faut dépasser ça. Et même avec un esprit très ouvert par l'éducation on reste en fin du compte subjectif. Mais subjectif dans des hauts… paramètres…




L'agrammaticalité et autres joyeusetés

par Sandrine Cerruti


Que génère l'agrammaticalité ?


L'agrammaticalité est, en quelque sorte, la note d'étrangeté perçue lors de la première lecture du poème, c'est la lecture heuristique. Elle est la manifestation immédiate de la liberté du poème. Aussi, enclenche-t-elle une deuxième lecture, celle qui part en quête de signifiance, c'est la lecture herméneutique. 


L'herméneutique, c'est l'art qui consiste à comprendre et à interpréter, et qui porte sur les textes dont le sens n'est pas donné, immédiat, obvie. Dans ce domaine, les méthodes ou théories de l'interprétation sont multiples et cette diversité, entre querelles de chapelles ou complémentarités, est d'une immense richesse. Riffaterre, lui, s'inspire des travaux et découvertes de Saussure et plus particulièrement de son concept de paragramme. 


Le génie de Saussure réside dans sa radicalité textuelle. Il défend qu'il faut : "Comprendre que le texte, son centre se trouve inhérent au texte et non à l'extérieur." Par paragramme, Saussure désigne un mot-clef dont les parties lexicales et graphémiques sont enchâssées et disséminées dans le texte. Une saturation, un concentré de significations est observé. Il a tout d'abord été frappé par le phénomène classique de saturation phonétique, celui bien connu et observé des assonances et allitérations. Mais, suite à ses scrutations minutieuses, il ne s'arrête pas au simple phénomène de musicalité. Le texte serait transgressé, débordé par un autre texte sous-jacent. Cette observation fine permet également de faire évoluer le rôle du lecteur, considéré par là-même, comme de plus en plus actif, impliqué, créateur. Saussure ouvre la voie à une double subversion créatrice : celle du sujet lecteur, reconnu plus en conscience et celle concomitante du signifiant par le signifié. Il ouvre le chemin à des propositions comme celles de Umberto Eco qui échafaude une théorie herméneutique très proche de celle de Riffaterre au sens où la lecture requiert une coopération textuelle. 


Chez Riffaterre, le niveau de lecture herméneutique réside dans la mise à jour d'une structure sous-jacente, annoncée par l'agrammaticalité, et qui permet d'espérer entrer en signifiance, c'est l'hypogramme. On pourrait considérer que c'est le noyau sémantique du poème, sa matrice diffuse. Aussi, le jeu herméneutique consiste-t-il à chercher la matrice du poème : un mot, une phrase, un cliché à subvertir. Dis-moi où est l'hypogramme, et je te dirai ce que tu caches ? Je te dirai de quoi tu me parles ; j'entendrai le vrai sujet sous les mots, le dire derrière le dire. 


La chasse à l'hypogramme équivaut à une sorte d'hyperlecture du poème. Voici le schéma proposé par Gilles Tronchet, s'interrogeant dans un article intitulé : des signes sous les signes : leçons d'une lecture hypogrammatique.



Cette proposition amène de la clarté à propos du travail sémiotique engagé par Saussure et Riffaterre, qui lui, a cherché à théoriser par le détail, les étapes, les strates d'une herméneutique à caractère sémiotique specifique au poétique. 



Pierre, toujours pour répondre à ta demande, voici la question proposée à : quels sont les signes du poème ? Toujours en suivant la démarche de Riffaterre, voici la suite aux questions : 


T'es-tu lancé en quête de l'hypogramme, source de l'herméneuticien, chercheur du filon d'or du poème ? 






Sandrine Cerruti




"Ainsi un poëme n’est point comme un sac de mots, il n’est point seulement 

Ces choses qu’il signifie, mais il est lui-même un signe, un acte imaginaire, créant

Le temps nécessaire à sa résolution,

À l’imitation de l’action humaine étudiée dans ses ressorts et dans ses poids. "


Paul Claudel - Première Ode - Les Muses