La
page
blanche

Le dépôt

AUTEUR-E-S - Index I

53 - Isa Solfia Manzano

distillerie (extraits)

ni ceci-ni cela

 

j’écoute le compte-gouttes

métronome vivant

la silencieuse neige chutant

je ne suis pas le temps

 

j’incarne le spectacle

perruques-paupières

la terre s’effrite ici et là

je ne suis pas l’espace

 

j’exprime je noue je lie

j’enlace par les mots la

relation j’oral je palabre

je ne suis pas le langage

 

le cœur la forge l’oiseau

le vent la terre le lichen

j’interstice des obliques

 

j’habite en éphémère


*


j’éteins les mots des fantômes

pantins des vêtements d’hiver

froissés de s’être tant pliés

 

je ne cherche plus à com-

prendre

je sens le flux

l’étrange sentiment

d’âge

la beauté les vieux

alphabets

cachés dans les fissures

de la terre

 

j’observe la lumière

les montagnes rouges

écoutant les pas-

sereaux

morceaux de pas-

serelles

 

les semelles en feu

de poésie

 

*


je suis de microparticules de nanoparticules

de béton de ferail

je cherche en moi la sève les saveurs

des mousses des pierres de la terre des lichens

les traces minérales les traces végétales

mes mères mes sœurs

je me roule dans la boue pour redevenir sauvage

femme de villes enragées venues jusqu'aux montagnes –

(où est ma boussole ?)

je suis déchets nucléaires ombre de plastique

je suis errance branlante branlée par le bitume

forgée aux vents acides

mes pas écrasent des vestiges

des bouts de ma nature éparpillés dans les tentacules numériques

j’arpente le monde cherchant la faille la faille

qui fera famille

la faille

où glisser ma peau redevenue écorce mes yeux vivants

de réseaux souterrains de racines connectées violées

depuis des millénaires

je goutte orage granit fougère

sur un chemin ancestral un lieu où

dépouiller mes nerfs de leur gangue métallique –

je me couche à terre pour épouser sa moelle

je lèche la pierre pour en sentir l’histoire

je sens

que mes veines coulent en rivières

que mes poumons respirent

du sel du vent du ciel

que mon sang de ciment se diffracte en pollen

que mes gestes programmés étouffés par les gravats redeviennent

humus

j’avance absorbe mute

je lichen mes friches industrielles

mon spectre en décomposition

renaissant d’un limon

plus ancien que mes souvenirs

 

 

*


les traces de l’écrit les fulgurances ce qui reste ce qui résiste ce qui échappe ne peut rester car écrire c'est dire faire tracer mais tracer c'est aussi partir traverser faire la traversée boucler finir faire des boucles spiraler faire palimpseste écrire c'est creuser dans le vent écrire c'est un geste absurde une insistance écrire c'est laisser une empreinte écrire ce qui se sait déjà écrire c'est s'inscrire écrire c'est effacer écrire c’est faire trace de ce qui s’efface déjà effacé écrire c'est devenir poussière éclairé par des matins de brume


*


yeux fermés

la terre respire sous moi

chaleur diffuse odeur rêche

j’avance sans réfléchir

portée par un rythme ancien

un balancement inscrit sous la peau

l’air vibre d’échos lointains

stridences et souffles coupés

comme si le monde chuchotait

dans une langue oubliée

le sol change

granuleux – lisse

tiède – froid

un courant invisible glisse sur mon dos

effleure mes flancs

murmure à mes nerfs une ligne d’ombres

le ciel cligne d’un œil pâle

: l’instant approche

un frisson remonte le long de mon échine

l’air est saturé d’un parfum âcre

mélange de sel et de poussière

une odeur ancienne encore

inscrite dans la mémoire du sol

je ralentis

l’ombre s’étire sous moi

épouse la forme des pierres

se dissout à leurs arêtes

un éclat traverse l’obscur

fugace

un souffle d’or

j’entends l’eau

la vie partout

j’inspire les pulsations du monde

un battement sourd

grave

traverse la terre et mes os

le moment est là

dans un même élan

nous glissons hors du silence

 

*


étonner son corps

c’est entonner son chant

sa sève coulante

aux fors des fors

qui forge en elle les

poèmes

creuser en soi

les veines ouvertes à l’

aube

tremblante

un cri de peau

qui s’échappe

s’invente

le laisser dire ce que la bouche

tait

danser-mémoire

brûler-feu

plier-vents/contraires

ouvrir-ailes

étonner son corps

c’est le rendre à l’

inconnu

se faire défaire refaire 

ré/inventer le spasme


*