Le dépôt
distillerie (extraits)
ni ceci-ni cela
j’écoute le compte-gouttes
métronome vivant
la silencieuse neige chutant
je ne suis pas le temps
j’incarne le spectacle
perruques-paupières
la terre s’effrite ici et là
je ne suis pas l’espace
j’exprime je noue je lie
j’enlace par les mots la
relation j’oral je palabre
je ne suis pas le langage
le cœur la forge l’oiseau
le vent la terre le lichen
j’interstice des obliques
j’habite en éphémère
*
j’éteins les mots des fantômes
pantins des vêtements d’hiver
froissés de s’être tant pliés
je ne cherche plus à com-
prendre
je sens le flux
l’étrange sentiment
d’âge
la beauté les vieux
alphabets
cachés dans les fissures
de la terre
j’observe la lumière
les montagnes rouges
écoutant les pas-
sereaux
morceaux de pas-
serelles
les semelles en feu
de poésie
*
je suis de microparticules de nanoparticules
de béton de ferail
je cherche en moi la sève les saveurs
des mousses des pierres de la terre des lichens
les traces minérales les traces végétales
mes mères mes sœurs
je me roule dans la boue pour redevenir sauvage
femme de villes enragées venues jusqu'aux montagnes –
(où est ma boussole ?)
je suis déchets nucléaires ombre de plastique
je suis errance branlante branlée par le bitume
forgée aux vents acides
mes pas écrasent des vestiges
des bouts de ma nature éparpillés dans les tentacules numériques
j’arpente le monde cherchant la faille la faille
qui fera famille
la faille
où glisser ma peau redevenue écorce mes yeux vivants
de réseaux souterrains de racines connectées violées
depuis des millénaires
je goutte orage granit fougère
sur un chemin ancestral un lieu où
dépouiller mes nerfs de leur gangue métallique –
je me couche à terre pour épouser sa moelle
je lèche la pierre pour en sentir l’histoire
je sens
que mes veines coulent en rivières
que mes poumons respirent
du sel du vent du ciel
que mon sang de ciment se diffracte en pollen
que mes gestes programmés étouffés par les gravats redeviennent
humus
j’avance absorbe mute
je lichen mes friches industrielles
mon spectre en décomposition
renaissant d’un limon
plus ancien que mes souvenirs
*
les traces de l’écrit les fulgurances ce qui reste ce qui résiste ce qui échappe ne peut rester car écrire c'est dire faire tracer mais tracer c'est aussi partir traverser faire la traversée boucler finir faire des boucles spiraler faire palimpseste écrire c'est creuser dans le vent écrire c'est un geste absurde une insistance écrire c'est laisser une empreinte écrire ce qui se sait déjà écrire c'est s'inscrire écrire c'est effacer écrire c’est faire trace de ce qui s’efface déjà effacé écrire c'est devenir poussière éclairé par des matins de brume
*
yeux fermés
la terre respire sous moi
chaleur diffuse odeur rêche
j’avance sans réfléchir
portée par un rythme ancien
un balancement inscrit sous la peau
l’air vibre d’échos lointains
stridences et souffles coupés
comme si le monde chuchotait
dans une langue oubliée
le sol change
granuleux – lisse
tiède – froid
un courant invisible glisse sur mon dos
effleure mes flancs
murmure à mes nerfs une ligne d’ombres
le ciel cligne d’un œil pâle
: l’instant approche
un frisson remonte le long de mon échine
l’air est saturé d’un parfum âcre
mélange de sel et de poussière
une odeur ancienne encore
inscrite dans la mémoire du sol
je ralentis
l’ombre s’étire sous moi
épouse la forme des pierres
se dissout à leurs arêtes
un éclat traverse l’obscur
fugace
un souffle d’or
j’entends l’eau
la vie partout
j’inspire les pulsations du monde
un battement sourd
grave
traverse la terre et mes os
le moment est là
dans un même élan
nous glissons hors du silence
*
étonner son corps
c’est entonner son chant
sa sève coulante
aux fors des fors
qui forge en elle les
poèmes
creuser en soi
les veines ouvertes à l’
aube
tremblante
un cri de peau
qui s’échappe
s’invente
le laisser dire ce que la bouche
tait
danser-mémoire
brûler-feu
plier-vents/contraires
ouvrir-ailes
étonner son corps
c’est le rendre à l’
inconnu
se faire défaire refaire
ré/inventer le spasme
*