Le dépôt
FENÊTRES –– VIN SOLAIRE [poèmes pour mon ami le peintre Antonio Cardarelli et sa série des FENÊTRES. Il s'agit ici d'une version plus longue que celle publiée dans le recueil Les cérémonies fanées]
pour Antonio
fenêtre d'herbes chaudes ;
lueurs rondes ombres fraîches du matin ;
le plâtre du mur buvant le feu du ciel ;
la grève que coupe l'air opaque ;
son sel de silence bleuté.
dans le vert du songe
la table son rythme trapu ;
immobiles : l'assiette la pomme ;
la lame qu'embrase le fruit ––
formes à peine recousues dans la lumière
fenêtre –– océan ––
où s'étale, gris clair,
le mur du souffle ;
le chant ocre terreux des grillons
la lampe botanique
tu aimas le jardin de feu solide
les tulipes peintes au sang,
l'été dans son épaisseur d'écorce ;
l'ombre docile au goût de menthe ;
la table où brûla doucement le sommeil de l'insecte
dans l'amertume dorée des champs,
l'œil au sang de prune d'une vache ––
les coings, langés de lumière ––
hannetons doryphores ;
un bosquet cousu de fil noir
ce burin la lune terreuse ;
un champ de cristal sombre
la poterie d'un dur soleil
le frémissement violet des passereaux
fenêtre : blessure bleue ;
fruit du songe,
quelques grammes de feu ;
l'effroi tendre du cheval dans le jaune apocalypse de la poussière
fenêtre-jaguar ; fleur
de pierre ; l'impénétrable d'un visage
Toltèque ; soir ; un éclat
de forêt
fenêtre-ciel ;
l'étoile cousue au vieux songe des hommes ;
vertige silencieux ; l'âne mourant ; le bois gris du sommeil ;
la pomme, comme un baiser rouge
pont –– fenêtre ;
planche épaisse la pulpe du bois ;
la laine bleutée du jour ;
sueur âcre du soleil –– la glaise aride
d'un visage aimé –– la mère
et ses résédas,
le lac rouge
l'olivier –– dans les hiéroglyphes du matin ––
un œil d'insecte dans la lavande ––
le pain –– la boue solaire ––
le lièvre dressé vers sa plaie –– les sauterelles ;
la table la cruche d'eau
ce goût de sommeil
dans le mauve du feu ––
une fenêtre de fraîcheur,
s'étale l'encre rouge de l'érable ––
jeune poussière du souffle –– l'ombre bleue
le vin de l'été ––
pelures d'ombre –– poudroiement des bleus électriques ––
tache verte ligneuse du champ ––
se sont réfugiés, dans l'ombre portée du vieil acacia,
le chat acariâtre,
une petite araignée rouge ––
il y a un pot de terre –– la lumière crue
ces bourdonnements –– la brûlante blancheur des murs
souffles de lin –– un cheval ocre,
mâchonnant le jaune touffu des herbes
chambre de l'été rouge ––
dans la pâte durcie des ombres ––
lueurs éventées d'une pauvre terre ––
le vert et le mauve du matin ––
un sanglier –– la dentelle drue du chêne ––
des pommes silencieuses, dans la suspension du temps ––
une bouteille d'eau fraîche le linge –– le blanc laiteux
d'un lourd cheval –– l'œil palpitant d'amour des pivoines
fenêtre-forêt ––
murmures de la sauge ––
vient l'orage aux germes gris ––
de vieilles pommes de terre
dans l'eau bouillante ––
fraîcheur des terres ––
lisières d'or près des routes –– blancheur du champ ––
pierres ponces ; têtes muettes
des calvaires –– l'âne dort
dans la paume d'une ombre lourde
fenêtre-lumière ––
le vallon endormit dans le bleu vert des feux ––
la peau fraîche et hâlée des fleurs ––
grains d'ombres vertes
l'œil clair matinal du veau ––
un pichet de nuit et d'or ––
la brume s'endort sur le lac ––
fenêtre, dans le bois sec de l'été ––
la peau rugueuse des murs ––
coule cette résine épaisse ambrée du jour ––
ici le mur où végète l'insecte sourd ––
dans la lumière craquelée
l'âne boit la poussière ––
une coupelle d'olives sur la table
fenêtre-pomme ––
mémoire de l'arbuste rouge –– le vert tendre
trempant à peine
dans une soupe d'azur
fenêtre d'encre nocturne ––
le chien blotti dans sa fosse de terre rouge ––
les genêts –– l'alphabet des roches grises ––
le thym –– le pain, comme un éclat de ciel ––
la lampe montre son calme visage
fenêtre à l'ombre rouge ––
lait silencieux du matin ––
pins écorchant la lumière étale ––
au loin l'ouest bleu,
se brisant comme un vase renversé
fenêtre-paume ouverte ––
le drap gris perle du rivage
l'archipel des feux ––
poussière des champs –– ton omoplate ––
le souffle du hanneton
dans la lumière brisée ––
visage indigo du mort
femme-fenêtre
seule la chair,
l'œil berçant la terre,
robe défaite, hanches
sous l'or bleuté du souffle