Le dépôt
Extraits du livre " Avant le grand voyage " publié aux Éditions Lpb
une scène suffira pour que le décor chavire, une phrase, dès, la deuxième, au, paradis d'un long poème beau, une série, des variations, une touche de ceci, une touche de cela, au bout du compte, au fond, un caractère au rythme doux, féminin, ami.
Pierre Lamarque
EXTRAITS DE « AVANT LE GRAND VOYAGE » d’Alain Rivière
si au moins il s'agissait d'un cauchemar, se dit-il en
voyant dans un bus tous les voyageurs la tête penchée
sur un petit écran, si au moins il pouvait leur parler
il ne peut s'empêcher un soir de caresser la
chevelure blonde d'une femme assise devant lui dans
un bus, oh pardon, lui dit-il à voix basse, c'est le
paradis
il aime répondre n'importe quoi, oui il
collectionne les rats, oui comme Barbe-Bleue il a
égorgé ses femmes, oui il est sorti de la cuisse de
Jupiter
il se méfie de ce qu'il voit, même les femmes nues
alignées qu'il aperçoit une nuit d'hiver par la porte
entrouverte d'un magasin dans une avenue déserte
il réveille, il lave, il habille, il promène, il déshabille,
il couche une femme pendant des années, n'est-ce pas,
dit-il à un ami, le rêve de tout homme
il s'amuse trop, lui reprochent les paons un jour
où il garde pourtant son long visage fermé, qui peut le
prendre au sérieux, qui peut le lire un peu
comme le jardinier de Rumi il a déjà donné toutes
les roses du parc à un voleur, il lui donnerait volontiers
aussi la maison, les paons, les amis, les femmes
pourquoi Saint-Jérôme est-il si triste, si fatigué, se
demande-t-il en voyant une peinture du Caravage, et
lui qui passe son temps à rire avec des crânes
il sent de plus en plus ses organes, ses muscles, ses
os sous sa peau, eux aussi, se dit-il, n'arrêtent jamais
de faire la fête, et qui pourrait les suivre un peu
des souvenirs l'attaquent un jour dans le parc, il ne
sait pas se défendre, il ne peut rien faire, les enfants
accourent le chercher, le secouent, lui donnent la main
il invente du matin au soir des paroles de
chansons, quitte-moi, quitte-moi, éloigne-toi,
disparais à jamais, va ton chemin, et qu'on ne te revoie
plus
il ne croit pas aux secrets, aux mondes cachés,
quelle foutaise, s'emporte-t-il devant une femme
voilée dans la rue, tout est clair comme de l'eau de
roche