Le dépôt
À la place de Dieu
Bernard Friot : A la place de Dieu
Quand on est Dieu, quand on a créé le ciel, la terre et l’univers et qu’on est fatigué, mains sales et jambes lourdes, est-ce qu’on a le droit de se reposer un peu ? Boire un verre de bière blonde, par exemple, et regarder un navet à la télé ?
Quand on est Dieu, quand on entend les hommes éternuer, sur Terre, par temps d’hiver, est-ce qu’on sent aussi son nez remuer ? Est-ce qu’on enroule autour de son cou l’écharpe tricotée par les saints, les anges et les séraphins ?
Quand on est Dieu et qu’on s’emmerde un peu parce que, vrai, il y a des jours comme ça, le boulot, ben, c’est le boulot, pas trop le moral, la machine à café déraille, et rien à la télé ce soir … qu’est-ce qu’on fait, hein ? dans ces cas-là, quand on est Dieu ? On prie ? On allume un cierge à la basilique du Sacré-Cœur ? On chante à tue-tête pour se donner un peu de cœur à l’ouvrage ? On téléphone à trois copains et on les invite à la maison pour une partie de belote ?
Quand on est Dieu et qu’on est amoureux, et elle, ah trop banal, elle en aime un autre ? Est-ce qu’on a le cœur brisé, comme un homme, ou est-ce qu’on se console au hasard des rencontres et des oreillers, corps rassasié et cœur malade ?
Quand on est Dieu et qu’on voit un gamin mourir, là-bas, à Jérusalem, on zappe sur une autre chaine ou on verse une larme impuissante ? Ou on signe une pétition, une de plus, pour savonner sa bonne conscience parce que, n’est-ce pas, on est bon, si bon.
Quand on est Dieu et qu’on est mort, est-ce qu’on est triste ou soulagé ? Est-ce qu’on gît (comme on dit) pâle et serein sous les draps blancs en souriant secrètement des pleurs déversés par les voisins, les parents, les enfants rassemblés ? Et est-ce qu’on tremble un peu à l’idée de rejoindre là-haut (ou là-bas) le Père Eternel ? S’il existe, bien sûr, s’il existe.
Bernard Friot (texte publié avec l'aimable autorisation de l'auteur.)