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Etudes (7) et (8) sur Benjamin Fondane : Poésie et réalité
Fundoianu (7) - Août 2025
Le contact avec la réalité est, pour l'artiste, de plus en plus faible, estime Fondane, « la réalité lui a été extorquée » - et le drame de la perte du contact avec le réel remonte à « ce romantisme allemand qui voulait « élever » la poésie à la dignité de la philosophie ». Le poète continue à prendre les « vérités spéculatives » comme matière de la poésie, après que la poésie ait été liée au concept d'imagination, « une imagination /…/ dans le concept de laquelle ont été mélangés à parts égales sentiments, sensations, intuitions, souvenirs perçus, réels, et figures complexes inventées par l'esprit, comme le mensonge délibéré ou l'hippogriffe invraisemblable dont nous parle Descartes ».
La destitution du poète de la réalité est pour l'auteur une trahison essentielle, la poésie s'écartant, à la suite de cette trahison, sur une fausse voie. La poésie ne peut plus contenir aucune vérité lorsqu'elle se réduit à des mots, à de simples mots, elle devient « un explosif qui n'explosera jamais ». Chose regrettable et on ne peut plus vraie... L'évolution de la poésie a suivi exactement cette voie, la poésie d'aujourd'hui est... des mots et des jeux de mots, comme l'affirment d'ailleurs de nombreux auteurs avec une fierté non dissimulée. Des mots, des mots - un bavardage incontinent... Fondane identifie le parcours de la poésie moderne (du moins d'une partie importante de la poésie moderne), parcours suivi jusqu'à aujourd'hui, où, après près d'un siècle, nous assistons à la phase suprême de cette évolution. Qui se préoccupe encore de la tragédie de l'identification à la réalité dans le projet du poète de l'entre-deux-guerres ? Avec la Renaissance, l'artiste a tué la réalité, faisant preuve d'une « sorte de volonté compulsive » qui produit tous les trente ans une révolution dans l'art.
Et que sont ces révolutions ? Des tentatives de lancer une nouvelle école artistique, de changer le mode d'expression - trahissant en fait un effort d'adaptation. Adaptation aux nouvelles perspectives des physiciens, prévient l'auteur de Rimbaud le Voyou, circonstance qui contribue à une raréfaction de plus en plus prononcée du réel. Et le réel - l'authentique, tel qu'il apparaît par exemple aux primitifs - est de plus en plus difficile à atteindre.
En poésie, nous sommes donc confrontés à une véritable « crise de la réalité » - qui domine le XIXe siècle. La participation de l'artiste à la réalité devient une illusion et ne peut être éliminée par... des procédés artificiels : les drogues, autres moyens utilisés pour se rapprocher d'une réalité de plus en plus difficile à atteindre, ne sont que des tentatives chimériques. Tout devient une folie « qui n'a abouti à rien de notable ; l'art fait du surplace, il est aussi creux qu'auparavant ; il a fini par se demander s'il avait un sens ; il prêche le chaos et le suicide ». Il semblerait, ajoute l'auteur, que « le revers du rêve dans la réalité était l'effet d'une intuition profonde et admirable ».
D'où vient alors l'échec lamentable de cette orientation de la poésie ? Et il constate que ce déplacement de l'inspiration vers un nouvel espace ne représente pas non plus un rapprochement avec le réel, mais seulement une nouvelle exploitation des possibilités rationnelles. Quant à Breton, il a fait « de l'activité onirique, dont il se revendique pourtant » - « une matière dépourvue de transcendance, de mystère, réduite à des composants intelligibles et mécaniques ». Le poète et théoricien du surréalisme est devenu un cartésien du miracle qui le conduit à proclamer l'échec de Rimbaud... Son rêve « ne se donne plus, n'est plus le surnaturel déversé dans la nature, mais exclusivement la nature déversée dans la nature = l'identique dans l'identique ». En d'autres termes, quelque chose d'inconnu n'est accepté qu'à condition d'être... connu. La formule des surréalistes consiste à manipuler l'irrationnel de manière rationnelle, de sorte que pour Fondane, l'action surréaliste n'est pas révolutionnaire, mais soumise aux tendances rationnelles de l'époque... Avec leur pensée « aristotélicienne-cartésienne », ils ne pouvaient pas revenir à « la stupidité, aux préjugés, à la superstition, à l'absurde » - qui découleraient de la réalité... non traitée, seule matière authentique, selon Fondane, de la poésie...
La critique de l'art moderne se poursuit par l'examen du processus d'élaboration de la poésie, processus au cours duquel apparaissent successivement des modifications, des adaptations du texte ; Or, le poète en état d'inspiration – Fondane revient à Platon – est un possédé, un fou, un homme guidé par la puissance divine – « exactement ce que Rimbaud voulait exprimer par sa formule concise : « Je est un autre ». Et la conception de la poésie moderne éloigne le poète de l'état originel du poète, tel que le voyaient les anciens. L'essence de la poésie suppose autre chose, une vérité « qui transcende l'acte intellectuel et la pureté morale, une vérité pour laquelle l'existence existe, comme le corps, comme les images, pour laquelle Dieu lui-même est image, vision, et non pur acte d'un esprit vide... » La pensée « spéculative et éthique » a trahi le réel. (Ceci, estime Fondane, n'est pas seulement une trahison de la vocation de la poésie, mais une maladie de l'homme moderne, de l'homme civilisé.) Conclusion inévitable : « Celui qui retouche le poème est toujours Quelqu'un d'autre ; et ce qu'il retouche, ce qu'il élimine, c'est toujours et encore le Moi ». Le véritable poème devrait être le résultat d'un état de grâce - et non de retouches rationnelles...
Dans la sixième partie du Traité... Fondane rappelle la gratuité de la poésie, l'acte de contemplation qui lui est inhérent, gratuité qui devient « immorale » dans une société qui ne recherche que des solutions utiles et efficaces. Avec une telle mentalité, tout doit être récupéré et rendu efficace, même les énergies dépensées dans un « jeu gratuit ». Conversion et réutilisation. Dans ce contexte, même la poésie peut être détournée, par exemple pour... chanter « l'État, la patrie ou la révolution ». Pour Fondane cependant, même si le vrai poète s'attribue une mission civique et éthique, le résultat de l'acte de création sera toujours... la gratuité fondamentale de l'acte poétique.
La perception du concret, illusion inaccessible au monde philosophique des essences, est propre à l'homme ordinaire et au poète. La poésie ne peut transmettre que le vécu, et notre vie vécue ne répond « ni au concept de réalité, ni à celui de vérité ». L'homme ordinaire prend au sérieux « un monde transitoire et mobile, qui n'est qu'une fabulation de nos sens ». Il en va de même pour le poète. Ainsi, si la poésie est contemplation, la question qui se pose est : « contemplation de quoi, au fond ? ».
La poésie ne peut être une simple contemplation de ce qui n'existe pas - la poésie, conclut Fundoianu, « est une nécessité et non un plaisir, un acte et non une détente ; le poète affirme, la poésie est une affirmation de la réalité. Lorsque nous écoutons une œuvre d'art, nous ne contemplons pas et ne nous délectons pas, nous rétablissons un équilibre brisé, nous affirmons ce que nous avons honteusement nié toute la journée : la pleine réalité de nos actes d'espoir, de notre liberté, la certitude obscure que l'existence a un sens, un axe, un garant ».
Et si les ignorants ne manifestent pas d'intérêt particulier pour l'art, celui qui sait, celui qui sent « que rien autour de lui et en lui n'est réel » manifeste un besoin organique de poésie. L'artiste lui apporte cette aide, grâce à son art, le poète peut atteindre un état d'existence inexprimable sous toute autre forme d'expression. Fondane conçoit un monde dans lequel l'existence humaine n'est pas « dénaturée » par la raison. Une raison qui a fixé des repères, formulé des lois. Il souligne la difficulté d'identifier un tel stade de l'humanité en constatant que même Kierkegaard n'avait pas réussi à imaginer un monde qui existerait avant le bien et le mal - avant le moment où la raison a établi les repères sur lesquels se déroule l'existence. La pensée a fixé l'essence de la liberté, de la perfection. De sorte que ce qu'on appelle aujourd'hui l'innocence « n'a rien à voir avec l'innocence adamique ; celle-ci n'était que paresse, inconscience, rêverie, stupidité ; notre innocence, en revanche, réside dans la primauté de l'intellect sur l'existence, je veux dire du Bien sur le Mal, sur la Vie ». La croyance des poètes aurait été autre - et il cite Rimbaud comme témoin, « le poète qui, le premier, allait ouvrir la poésie moderne aux tentations de la connaissance », lui qui « allait exprimer le mieux les désirs profonds de la poésie éternelle ». Rimbaud, à travers ses rêves (« un rêve de paresse grossière » ; « je ne travaillerai jamais » ; « on nous avait promis que l'arbre du bien et du mal serait enfoui dans l'ombre, que les honnêtetés tyranniques seraient déportées pour nous apporter l'amour trop pur ») ne demandait pas un nouveau paradis, mais l'ancien paradis, celui que le Fils de l'Homme avait connu. Dans sa poésie, « tout se passe comme si la poésie était le lieu de la rupture, de l'effondrement, comme celui du remords, de la nostalgie de ce qui était avant ». Le poète (générique) exprime une nostalgie d'un âge primordial, « d'une innocence primitive, fabuleuse ».
Dans un fragment révélateur, Fondane dévoile ce qu'est, au fond, la poésie : « La poésie est le lieu même - l'esprit - où le péché a la nostalgie de la foi ; ou, en d'autres termes, le lieu même où la conscience rêve de la possibilité d'un acte pur, libre, puissant, qui déplacerait des montagnes ou créerait le poème - en jouant. » Dans cet ordre, « la perfection serait de commander à la réalité, et non de s'y soumettre passivement ». La raison est incapable de posséder, elle ne peut que décrire et comprendre. Elle décrit et, pour être intelligible, appauvrit et déforme la réalité.
En résumé, le poète appartiendrait à un monde antérieur à l'ère... de l'intelligence, de la raison qui, depuis des siècles, a modelé l'humanité au nom de certaines valeurs - des valeurs qui, du point de vue de Fondane, cachent et falsifient les sentiments qui devraient devenir l'essence même de la véritable poésie. L'auteur est conscient qu'en circonscrivant la poésie dans le domaine de « la paresse, de la bêtise, de l'absurdité, en mettant en évidence son horreur de la morale, du travail » - ce qu'il avait d'ailleurs fait tout au long du Traité... - cela revient à lui tendre le piège le plus cruel qui lui ait jamais été tendu. Mais il ne voit pas d'autre solution. Voici les alternatives : d'un côté « la connaissance, la science, l'éthique », de l'autre la poésie (la paresse, l'horreur du travail...). En opposition au monde pratique se trouve la joie perdue « dont l'existence est proclamée par la poésie ». Certes, les constantes de la vie moderne ne peuvent être négligées, mais il se demande si l'ignorance ne pourrait pas s'apprendre, « si elle relevait du pouvoir des sentiments, des passions, des préjugés de notre imagination - de notre stupidité, en un mot - postuler une autre réalité, plus vraie que celle du réel austère, à la seule condition d'affaiblir un peu, oh, si peu ! la contrainte inexorable » de la pensée éthique et physicaliste.
Car la poésie peut être une expérience véritable, la vérité libératrice. « La poésie, comme la philosophie, n'est pas un « délice de la sensibilité », mais une pensée en lutte avec la réalité ultime ». Le traité... se termine de manière prophétique. Il trouve incomplète la constatation sans cesse répétée selon laquelle la poésie moderne a pris conscience d'elle-même ; « ... en fait, la poésie moderne a pris conscience d'elle-même comme néant. Mais peut-être est-il vraiment temps que la poésie perde complètement conscience de ce qu'elle est ; et alors, ne craignant plus que l'imbécillité ne règne, elle placera peut-être enfin sa propre réalité au centre même de la réalité. »
Fundoianu (8) – Septembre 2025
J'ai soigneusement noté la succession des idées dans le Faux traité... en cherchant à suivre les directions développées par l'auteur. Il faut dire que, d'après la fréquence et l'insistance des commentaires, le Traité... n'est pas l'œuvre qui suscite particulièrement l'intérêt des commentateurs de Fondane. Elle revêt toutefois une signification particulière, dont je soulignerai la pertinence. Le Faux traité d'esthétique était, comme nous l'apprend Monique Jutrin (Avec Benjamin Fondane au-delà de l'histoire ou les carnets d'Ulysse), un titre qui poursuivait Fondane depuis son arrivée à Paris (en 1924) ; il s'agissait d'un livre avec lequel l'auteur voulait « en finir avec la contemplation esthétique ». Des fragments ont été publiés au fil du temps dans divers magazines, notamment dans les Cahiers du Sud. En ce qui concerne les réactions de l'auteur à la parution du volume (en 1938, aux éditions Denoel), à un moment de tensions de mauvaise augure pour l'Europe, qui, malheureusement, vont bientôt éclater, il convient de retenir sa déclaration dans une lettre à Denis de Rougemont. Ces mots révèlent l'importance accordée à l'étude par rapport à la réaction des lecteurs avertis : « Ils ont vu / dans le livre / une simple défense de la poésie, alors qu'il s'agit en fait d'une défense du réel ». Le faux traité... était donc, dans l'intention de l'auteur, plus qu'un livre sur la poésie, sur l'art en général, plus qu'un traité d'esthétique : il se voulait une méditation à la signification large. Les commentateurs ont relevé plusieurs choses qui s'imposent dès la première lecture. Par exemple, le fait qu'il ne s'agit pas d'un traité au sens courant du terme (et l'auteur le précise dès le titre...). L'ouvrage a trop peu en commun avec les traités académiques d'esthétique ; il ne parle pas des principes qui domineraient l'espace des arts ; il ne cherche pas à présenter des vérités universellement valables, qu'il exprimerait avec l'impassibilité de l'objectivité académique, mais soutient avec passion un programme personnel, subjectivement assumé, concernant l'art et en particulier la poésie ; un programme qui non seulement n'est pas universellement valable, mais qui s'oppose sans hésitation à ce que propagent ses contemporains. L'un des commentateurs les plus avisés de l'œuvre de Benjamin Fondane, Olivier Salazar-Ferrer, estime que le Traité... cristallise un ensemble de polémiques », avant de poursuivre, dans la présentation de l'ouvrage, en mentionnant chacune de ces polémiques. Les positions « polémiques » sont donc passées en revue les unes après les autres. Par exemple celle avec Roger Caillois et son Procès intellectuel de l'art (1935) et ce qui résulterait de son point de vue rationaliste : la culpabilisation de la subjectivité. La position en dehors de la « rationalité » de la poésie, soutenue par Caillois - et par un certain nombre d'intellectuels à commencer par Platon -, a déterminé « une conscience honteuse du poète » (sur laquelle Fondane reviendra à plusieurs reprises au cours de son étude pour désigner l'auto-positionnement de la poésie dans le contexte d'un monde entièrement rationalisé). Ou la position polémique vis-à-vis de Jean Cassou – et de sa conviction que l'engagement politique du poète serait la valeur la plus importante de la poésie moderne – illustrée par les surréalistes qui, par leur engagement politique, auraient donné à la poésie la capacité d'agir. Paul Valéry, poursuit Olivier Salazar-Ferrer, n'échappe pas non plus à la réception polémique, avec sa tentative de définir un univers poétique pur, isolé de toute intrusion non spirituelle. Le romantisme et le surréalisme deviennent à leur tour des motifs de déploiement de l'esprit polémique.
Cependant, la polémique dominante du Faux traité..., telle que la voit Olivier Salazar-Ferrer, nécessite quelques précisions. Il est facile de reconnaître le style incisif du commentateur, avec ses opinions personnelles toujours présentes sur les auteurs, les œuvres, les idées soumises à son observation - une caractéristique signalée dès le début de l'écriture critique de Fundoianu. Mais c'est le moment opportun pour ouvrir une parenthèse nécessaire sur l'attitude polémique propre à Fondane. Et pour bien situer cette caractéristique, il faut noter que ce que l'on appelle habituellement la critique recouvre des réalités très différentes. Il existe plusieurs types de critique littéraire/culturelle, qui doivent être classés dans des catégories distinctes, n'ayant pas grand-chose en commun. Il existe une critique négative, pratiquée par des critiques que les profanes qualifient d'« impitoyables ». En réalité, ceux-ci sont des critiques tout aussi dépourvus du don de faire des commentaires pertinents, objectifs, etc. que les critiques qui louent tout sans distinction. Tout louer ou tout nier n'a rien à voir avec la véritable vocation du critique, avec la véritable analyse, avec la véritable évaluation - cela devient, en fin de compte, une routine, un... métier. Il s'agit généralement d'auteurs rudimentaires. La critique journalistique est également un métier. Elle a pour but de présenter simplement un livre, un spectacle, une exposition, etc. comme une réalité récente, qui doit être portée à l'attention des consommateurs potentiels. Sans jugement de valeur. Le jugement favorable est donné par la simple mention du livre, de l'exposition, etc. Si cela ne le méritait pas... Une telle publication doit seulement offrir une description correcte, aussi proche que possible de la réalité, de l'objet présenté. Et... c'est à peu près tout. Enfin, il existe des essayistes qui développent des idées et des impressions, ou qui sont les auteurs d'études approfondies couvrant un domaine artistique, présenté de manière synchrone ou diachronique. Cependant, ceux-ci travaillent avec des valeurs confirmées - il est absurde de consacrer des études à des auteurs sans valeur (même si, bien sûr, les absurdités n'ont jamais manqué...). Il peut toutefois exister des climats culturels dans lesquels les genres habituels de la critique sont abusés et déformés. L'orgueil, l'absence de traditions solidement ancrées, le manque de sens des réalités ou le mépris délibéré de celles-ci ont par exemple transformé, dans l'espace culturel roumain, de nombreux journalistes ordinaires en « juges sûrs d'eux » des valeurs artistiques, culturelles, etc. Beaucoup de ceux qui sont impliqués dans le « commerce intellectuel » sont aujourd'hui de tels spécimens. Soutenus et cotés, à leur tour, par des groupes/magazines/associations, etc. du même calibre.
S'ils sortent de la sphère d'influence des groupes qui soutiennent ces personnages « ...autonome », ils deviennent ce qu'ils sont en réalité : insignifiants. J'ai décrit l'actualité (plus ancienne ou plus... récente) de l'espace culturel roumain afin de préciser le sens des termes. Et pour souligner la différence avec le style polémique de Fundoianu. Celui-ci ne refuse pas catégoriquement, n'érige pas non plus de statues - il n'est pas un négativiste invétéré (dans un milieu culturel comme celui de l'Hexagone, un tel comportement n'aurait aucune chance d'être accepté), et encore moins un adulateur. Sa manière de s'opposer n'implique pas un tel comportement. En fait, lorsqu'il développe un point de vue, son esprit spéculatif déclenche des amplifications qui participent au thème en discussion, déplaçant le plus souvent le sujet vers de nouveaux horizons, lui donnant de nouvelles dimensions, proposant de nouvelles solutions. L'observation sur sa manière de polémiquer a probablement déjà été faite - en tout cas, elle est évidente. De telles amplifications, déviations, exégèses inédites du sujet mettent inévitablement en avant des contradictions, des inadéquations, etc. C'est la manière polémique du Faux traité. Nous avons vu les directions que prennent les rejets de Fondane dans Le Faux Traité... En fait, ce qu'il soutient, ses affirmations, se dessine davantage par ce qu'il refuse que par ce qu'il affirme explicitement. Voici comment il rejette, par exemple, la poésie dite engagée, militante, etc. Une telle poésie ne peut exister - et il explique pourquoi : lorsqu'il conçoit une « poésie militante », le poète, s'il est un vrai poète, s'exprimera toujours en termes essentiellement poétiques - c'est-à-dire qu'il admirera une fleur, sentira l'odeur de la terre, etc. Il existera poétiquement à travers la perception essentielle des éléments. Tout aussi injustifiée serait l'esthétique rationalisée, académique, à l'égard de laquelle l'auteur ne montre aucune indulgence... D'importantes énergies sont consacrées à l'étude de la manière dont la poésie a été falsifiée par des innovations introduites par la poésie elle-même. Le romantisme allemand. Paul Valéry... Les écoles poétiques de divers types formalisent (= rationalisent) des idées qui « deviendraient » de la poésie.
Fondane a été catalogué par certains commentateurs comme un participant déclaré aux mouvements d'avant-garde. Il a en effet publié des articles dans des revues d'avant-garde (en particulier en Roumanie). Mais dans Le Faux Traité... apparaît clairement le rejet total de l'idée d'école poétique. Et les rejets les plus forts, avec des arguments soutenus, sont ceux adressés au surréalisme. On n'a pas beaucoup insisté sur cet aspect important du commentaire, probablement parce que le surréalisme est devenu un mouvement puissant et que Fondane aurait pu apparaître comme... anachronique. Mais sa critique est solide et correctement argumentée. Elle comprend entre autres la suppression du lien invoqué entre le surréalisme et le poète décisif pour le retour de la poésie vers la modernité - Rimbaud. Ce que Fondane reproche avant tout au surréalisme, c'est la formalisation et la rationalisation – son opinion est que les surréalistes sondent l'inconscient à l'aide d'un guide de vulgarisation des théories de Freud... Au fond, en parlant de l'inconscient, dit Fondane, les surréalistes ont rationalisé... l'inconscient, rationalisant ainsi la poésie. En conséquence, la transformation de la poésie de cette manière permet beaucoup d'autres choses, y compris la politisation de la poésie. Du point de vue de la poésie (de la vraie poésie), l'intervention de l'esprit critique sur l'existence de la poésie n'est pas possible ; l'observation de la manière dont les poèmes sont écrits aujourd'hui, avec des retours en arrière (après des évaluations... critiques), des refontes du texte - tout cela fausserait la poésie en tant que révélation originelle, mythique - qui devrait en fait correspondre à l'origine de la vraie poésie. (Il est cependant difficile de croire qu'un poète d'aujourd'hui renoncerait à travailler sur le texte...) Selon Fondane, la poésie dans son sens authentique serait la nostalgie de la vérité première, révélée à l'homme à ses origines. Une reviviscence d'un état primordial, mythique, un contact avec la réalité première qui n'a pas encore été aliénée par la raison. C'est une perspective soutenue par des études anthropologiques, qui avaient alors acquis une audience particulière dans la vie culturelle occidentale. La « découverte » du primitivisme marque l'époque, l'archaïque est, à partir de cette période, présent dans les arts plastiques (Picasso, Brâncuși) ou dans la poésie (les surréalistes - Breton, Aragon…). Mais si, dans la plupart des cas, la découverte de l'archaïque se résume à un rafraîchissement des formes, Fondane cite Levy-Bruhl pour l'hypostase existentielle de l'archaïque - pour l'expérience unique du contact avec le réel, vivante dans la personne du primitif.