Le dépôt
Dérives - Extraits (III)
- Max Max Max ici au pied Max.
grogne une voix d’homme. Le chien marron n’entend pas la voix de son maître. L’enfant blond ne voit pas le chien marron. Il ne voit que son ballon. Rouge. Le chien marron ne voit que les cheveux blonds. L’enfant se jette sur le ballon. Rouge. Le chien marron se jette sur l’enfant. Place entre ses deux mâchoires puissantes la petite tête blonde. La serre comme un ballon La secoue comme un ballon. De plus en plus. Rouge. Je souris. À cet instant précis j’ai souri.
Vous voyez.
Après avoir vérifié les pièces une par une. Je suis resté plusieurs heures dans chaque pièce. Constatant une fois de plus l’absence qui m’entourait jour et nuit. J’ai tenté de retrouver un fragment de vie. Dans un coin. Dans un tiroir. Sous un meuble. Pénélope tu. Je dis adieu. J’ai déjà dit de nombreuses fois adieu. Je sais donc que. C’est ce que nous disons dans ce cas. C’est un souvenir que j’ai. Dire adieu.
Il y a quelques temps. Des gens m’ont trouvé. Retrouvé. Sont venus me voir. Ils m’ont exprimé avec une sincérité dégoulinante qu’ils étaient ma famille. Ma famille qui m’aimait. Ma famille qui comprenait. Me comprenait. Ma famille qui ne m’en voulait pas. Ma famille qui me demandait d’avoir confiance en l’avenir parce que la vie est miraculeuse surprenante exaltante. Ma famille qui savait intimement au plus profond de sa chair de son sang qu’un jour je me souviendrai. Je me rappellerai. Je reconnaitrai ma famille et ça ma famille le savait le savait le savait. Je me souviendrai des prénoms des visages. J’assemblerai les prénoms sur les visages. Je trouverai la bonne passerelle.
Je.
Vous.
Dressés sur vos jambes. Regardez-vous. Ne me regardez pas. Je ne m’appelle pas Mickaël. Regardez-vous. Tu ne m’appelles pas Stanislas. Regardez-vous. Il ne m’appelle pas Paul. Regardez-vous. Ne m’appelons pas Caroline. Regardez-vous. Vous vous appelez Abdou. Regardez-vous. Ils s’appellent Simon. Regardez-vous. Elles s’appellent Kévin. Regardez-vous. On s’appelle Mourad. On s’appelle Fatima. On s’appelle Dominique. On s’appelle Bertrand.
REGARDE L’AUTRE
REGARDONS TOI
REGARDEZ JE
Une chanson de Pénélope
- Sous le givre blanc
les vieux chrysanthèmes
veillent sur les tombes.
Matin de grisaille
des photos de mes parents
sous deux roses sèches.
Dans la cuisine vide
la lumière du néon
éclaire un cafard.
Dispersion du temps
au grenier des araignées
l’horloge résonne.
Dans mon lit glacé
à la nuit j’abandonne
mes noires pensées.
Le ciel s’ouvre à l’est
un œil par la fenêtre
le rideau me cache.
Rue du Temps Perdu
dans un éclat de lumière
ton corps s’efface.
Graines essaimées
je cultive la patience
dans la terre chaude.
Rosée matinale
le café brûle ma langue
je ne pense qu’à toi.
Près du cimetière
nous marchons sans un mot
j’attrape ta main.
La nuit infinie
couvre nos épaules unies
d’un voile léger.
À l’approche de l’été
sur mon sein moelleux
une libellule.
Couchés sous le saule
ton doigt sur mes lèvres
je rêve alanguie.
Dans les herbes folles
tu lèches ma peau de pêche
un chat nous regarde.
Orage en approche
un oiseau ferme nos yeux
ta main sur ma joue.
Nos heures suspendues
le mouvement des saisons
ne nous atteint pas.
Mon bel adoré
sur les os du vieux monde
j’ai chaud je t’aime.
Christophe Tostain
extraits de Dérives
Éditions Lpb - parution mi-novembre 2025