Le dépôt
Paroles Mendiantes - recueil de poèmes, notes et fragments
PAROLES MENDIANTES
miellées de nuit noire
(poèmes, notes et fragments)
Avant-chant
Bien des évènements et des rencontres ont le pouvoir de nous
ramener à la scène d’une violence native, qui est notre héritage le
plus profond. Nous nous hissons, tant bien que mal, hors de cette
postérité.
Le cœur, s’il ne veut s’éteindre, doit garder intacte sa
propension à se briser.
Je dus m’accrocher plusieurs fois à ces mots dans l’humilité
de mes défaites pour échafauder à nouveau ce qui me semble
aujourd’hui être un chant.
Le dénuement premier que la violence nous révèle, je ne
veux plus y échapper et je crois pouvoir dire qu’en certains instants
à coucher dehors, sans la protection d’un toit, ni l’assise d’un nid, je
pus voir les étoiles aussi clairement que la nuit qui les portait.
Voici des paroles sans lieu propre où loger – qui ne peuvent
atterrir.
***
**
*
ouverture
Qui a goûté l’aube
à peine prononcée
— odalisque Alecto
saura
ce qu’il faut de nuit
pour que s’entiche
un coquelicot
Atteins-moi
dit la fleur
guerrière
*
la pointe graphite de la nuit
racle le papier gondolé
les pores du ciel nôtre
la fenêtre est lointaine
ce qu’elle masque
plus encore
au petit matin
nous chanterons nos morts
qui ne sont plus nôtres
l’aurore à l’or tiède
ne se marchande pas
toute vie définitive
comme une présence
*
mon carnet noir
mon encre noir
mon cendrier noir
mes lunettes noires
mon humeur bleue
*
parfois j’envie l’immodestie radieuse
de celui qui chante
*
Moineaux aux basques. Je n’ai pas de miettes.
RIEN ne vient en miettes.
Sous mes ongles, quantités de crasse
assez peu de trésors.
*
j’épouse la gravité
des astres pesant
sur ma vie
atterrir un jour
ou ravir à Icare
son record
*
avec ma frêle cigarette
roulée en toute hâte
nous jouons à qui se consume le plus vite
mes mains fripées se dénudent
*
je peux me targuer de pressentir
qui porte au-dedans la pluie
cela n’empêche pas d’être
trempé
puisque les gens que j’aime
sont d’une extrême imprécision
— flottent presque,
j’opacifie
*
prendre appui
sur les plaies vives
l’entrée en paysage de nos corps
leurs cimes mouvantes
au vent jamais éteintes
montre-moi la source
d’un sourire entier
j’abonderai
*
une pluie battante
interpelle ton impréparation
les amours transies
resteront innommées
élague donc
parmi les branches
celles qui ne savent plus
ni recevoir
ni donner
*
j’égrène ces quelques paroles mendiantes
à la façon d’un chapelet de prières
les perles riantes glissent entre mes doigts
impriment le mouvement de la roue
qui cahote, hasardeuse, sur un chemin
de terre mal aplani
il ausculte l’aspérité d’une ronde durée
*
mes pensées adressées à demain se resserrent
en prières
c’est la même salive qui macère la même
faim
jamais assagie
dites comment le jour fait-il pour se hisser
au dessus de la nuit qu’il a engendré
*
polis par la brume
matinale
crânes émergents
des pavillons
pâle figure
perchée là-haut
la vie
remplumée de bonne heure
qui guette
l’écharde noire
le regard crevé je me tins
coi
avec l’oiseau — ou bien
la girouette
*
il y a aussi les heures glissantes
à tromper ta vigilance
de journalier
quand le soleil descend
faire face
daignes-tu voir
ta journée est faite
mais il reste un peu de temps
une eau lente
des ombres fraîches
le hautbois qui s’allonge
et toi avec
*
pluie de laurier rose
s’affaisse sous nos yeux
laisser infuser patiemment
dans la tiédeur la grâce
rude beauté des corps
baignés dans les pollens
tu y goûtes tout autant toi
qui te pensais inhabité
*
on tape sur la frénésie de l’ordinaire
sur les touches froides des pavés lissés
marelle d’une ancienne lave défaite
la mauvaise chanson nous fredonne
nous le connaissons tous cet air
d’heure en heure la forêt pourtant demeure
la pulpe bouillie de l’arbre recueille
notre sang de bœuf qui s’acharne
à dégager le passage au réseau de sève
*
la blessure du soleil
n’en finit pas
de suinter
je n’ai pas renoncé
non
au soin qui t’es dû
le ciel mi-bleu mi-rose
mi-moi
mi-toi
peux t-on panser l’outrance
d’une rencontre et
revenir à nous-même
*
depuis l’éclair du train
l’orée du bois couverte de cendres
netteté blanchâtre
...
septembre octembre novembre se ramassent à la pelle
la première ligne de la phalange
se serre épaule contre écorce
l’épais mystère se frotte les mains
flash révélateur
hagard, pris au piège de l’image
photographique, trace vitreuse
d’absence incrustée
...
et les rails battent en retraite tandis
que la chouette hèle
*
sourire tordu du fil
barbelé
s’effiloche devant le sérieux de l’oiseau
les vies sur le fil
*
Les prunes jaunes et bombées que je croque
me rappellent mes parties molles.
L’abricot, lui, m’indiffère.
je lézarde en rêve
et le mas endormi
fait ses vieux os
dans la trêve du soleil
mes joues de tomettes
et les poutres qui craquent
Non loin de Vannes, pointe du Bile
la vague inlassable
infinie réitération du même
épanchement lancinant
d’une intangible tristesse
comme des corps lointains à eux-mêmes
et qui s’accouplent
*
toutes ces choses oubliées si vite
en délaissant l’enfant sur le quai de gare
la justice dans l’âtre qui brûle d’impatience
la rigueur harmonique du paysage
l’avancée intraitable du lierre
*
corneilles et
bulles savonneuses
diurnes pensées
soufflées, peureuses,
au devant de la nuit
parvenus à sa pruine
nous nous sauvâmes
face aux yeux mi-clos
de la pourpre bruine
du monde en veilleuse
nous laissâmes sauve
l’accoucheuse des songes
*
les préparatifs
quelques certitudes
élémentaires
un sac à dos
l’outre à peine pleine
un grand vent
l’ourlet au cœur outré
là l’impréparée
la bête curieuse
irrigue en sa foulée
les sillons délaissés
*
la vie par à-coups
dans le pli d’une vague
d’une paupière dont le mouvement
t’échappe
rêveur l’eau ne dort pas
le sel de ta journée
gravillon sans scrupules
s’entasse
embruns des visages
qui ne sont pas tiens
respire et chante
avec la houle
hors la rade
navigue à vue
*
j’irai puiser mon eau
avec la lourdeur du grès
logeant dans la simplicité
d’une peau ensoleillée
sans épuiser sa chance
risquer d’y vivre
sans salut
*
logeant dans la simplicité
d’une peau ensoleillée
sans épuiser sa chance
risquer d’y vivre
sans salut
je poursuis
incessamment
le galbe d’une rivière
nappe de brume
d’eaux emmêlées
saboteuse tranquille
qui s’écoule sans fuir
sans trahir le défilé
de ses pas discrets
quand tu le voudras bien
je dirais ton nom
afin qu’on sache
que tout n’est pas immobile
*
obstine-toi à gagner ta journée plutôt que ta vie
escalade les soleils l’un après l’autre
*
la voix rauque et la gorge
rouge à chanter
du jour au jour
fleur d’entre les épines
s’adoucit dans l’ascension
reprise à jamais
l’espace d’une saison
*
eau froissée d’herbes
patiente
verte instable
foin de toi
sencha porcelaine
d’ardeur d’ondée
fin de journée
*
au creux de ta main
des buissons d’impatience
où des couleuvres subtiles
fourbissent leurs armes
sur nos défaites saillantes
des rêves foulés par centaines
peux-tu encore soupeser
la figue éclatante
sans la faire hurler
suave de sucre chaud
ta prise est-elle assez tendre
pour ne pas précipiter les ruisseaux timides
affreuse sécheresse
l’été de ton impatience
*
à n’en pas sortir indemne
d’herbes folles irrités
la rencontre
nos jours se finissent
et nous qui débutons
ensemble au sortir du champ
*
l’automne n’est pas arrivé
je tairai le nombre
de pétales tombés
*
traîne vapeur
perce brume
chant malaisé
s’échafaudant
arc-boutant
ses rayons
ossature
Ô matin !
*
pourquoi tu t’épuises
le ciel, lui, va sans virgules
ta cime au mieux
ta victoire
sera celle du double vitrage
merles et nuages tapent au carreau
paladin vitrier
ta foi transparaît
sans mystère
*
longue avenue droite
foulée
de pas perdus presque
effacés
maraude nue la ville
aimée
ce soir s’est tue mais
en premier
*
je voudrais chérir
l’idée que tu te fais
de nous
semblable à la fleur
d’amande
dans son hiver
de fragilité
dans son printemps
de bonté
périr dans des mains
gourmandes
la coque cédante
y donner un fruit
à la faim
*
tu pris ton temps
pour emplir mes poumons
désormais tu t’appliques
si tu viens à ma rencontre
c’est à ta guise
porte pour toi
entrebâillée
astre monstre
lucidité
es-tu permise
*
d’amour agir enfin
non pas assagir
nos meurtrissures
nuages communiant
entrelacs de foudre
qui vaincra l’horizon
à la coulée venimeuse
d’un lierre massacreur
répondra la brûlure
muscle débutant
fruit rond de colère
d’amour démesure
battre enfin la mesure
d’amour armons
la fanfare
d’amour agir enfin
honnir le malaise
les mains qui l’assurent
nos mains peu sûres
d’amour agir enfin
désherber l’horizon
*
laisse aux psychiatres
le soin d’asséner
les saines colères
saisis bourdonnant
à bras le cœur
l’essaim d’aimer l’éclair projeté
de radieuse colère
la saillie du désastre
nous enfantera
*
depuis que le vent vint s’abîmer sur ma face
je tiens ferme mes raisons
qu’est-ce l’âme sinon
une respiration partagée
*
à la poursuite des premiers rayons
des vers de la bonne chanson
la plaie des pluie la nouvelle saison
gâte les pommes les moissons
à la poursuite des derniers rayons
de pollens et de frondaisons
*
ma conne de joie hurle toute la nuit
laisse faire, va !
qu’elle réveille le chien qui n’attend que ça
au risque du faux départ
qu’elle réveille les voisins qu’ils sachent
de quoi j’ai l’air
qu’elle relève l’astre enfin,
car mes roses sont grasses d’amour
en colère d’éclore
*
ta flamme vacille
et l’automne est d’or
volutes en trilles
ma chanson à clore
*
tu me parles d’évidence
et tu as les mains étrangement propres
tu me parles de beauté mon ami
et tu as une sale mine
tu me connais si bien l’ami
la porcelaine pâlit
à la vue de mes gros doigts roses
délire de bris
*
magnolia bougon
magnolia poupin
magnolia en neige
magnolia en fleurs
magnolia en pluie
magnolia en flaque
magnolia en boue
Alexandre en fleurs
Suite de la sente des ronces
la joie non plus n’est pas tienne
accepte-la, accepte-le
ce bras de ronce qui t’égratigne
l’exécution, longue et pénible
à peine un sourire jalonne et fait
frisonner les vallons
aux contours vaporeux
*
où que tu sois, elle t’épie
épaule colombe
nez de ronce
horizon charnu mais pincé
…
ta leçon sur le bout des doigts
*
quand tu vas aux mûres c’est la ronce
qui cueille tes gouttes de sang
qui prélèvera l’amour vermillon
la colère d’émeutier
quand il n’y aura plus de mûres
*
ne te fie pas à cette moue d’enfant
potelé
ces sourcils souverains
connurent les jours de suie les jeux d’ombre
*
Solitude : exposition plein soleil.
*
jachère du salon
l’ébréchure excède le verre couché le miroir brisé l’orchidée fanée
toutes les surfaces sont coupantes
solitude comprise
*
dépôt blanchâtre
sur un bloc musculeux d’angoisse
glaçage acidulé
le sexe aux bords émoussés
dépression.
*
Pour J.
à tes pieds ce cœur chaud
mâchonne et mordille
une brindille à l’articulation raide
puis un bout de menthe parfumée
ce cœur chaud confond parfois tes orteils
avec son trophée
est-ce invitation au jeu
toujours est-il que tes pieds saignent
qu’une huile glaciale coule et se répand
sur la terre
*
Pour Talou
chaque été, au moment de sa belle mort
de son déclin attendu (parfois espéré tant la saison s’accroche à son
miel)
je m’offrais aux baisers de ronces
et tout ça pour quoi
pour des poignées sanguinolentes, pour sentir la rage
colorer la commissure de nos lèvres
dans mon panier de chair, mes mains liées en geste d’aumône,
accueillaient des baies charbonneuses
et tout ça pour quoi
des mûres
*
les baies grelottent tout bas
pendues aux doigts crispés de froid
d’un rouge de lèvres pincées
rouge prêt à éclater
vent de nouvelle année apposant
sa promesse sur l’épaule
d’un terrain encore vague
*
il y a des fossés qui chantent
des idées de ronces mûrissantes
et des mains sanglantes
pourtant épargnées
la beauté sans doute
donne à l’eau maigrelette
l’envie de s’écouler jusqu’à nous
la soif demeure intacte
Transit des ombres
Tristesse de contre-basson. Note mouron.
*
sur la crête des nuits
sans lunes
ne sachant plus quelle position
adopter
le chemin est un mauvais souvenir
un pain de patience
se consume
et l’engourdie qui remue
tient son ventre
arrondi
*
reste le son de tes pas
après le réveil
un long étirement
ronde mollesse
de basson
reste le son de tes pas
sortant de la chambre
ces petites notes
martelées
sur le tapis
reste le son de tes pas
pizzicato
qui trotte en moi
*
Chemin de Vacqueyras
escalade de noirs cyprès
la cordée périlleuse des gardiennes
à l’assaut des collines
veillée des femmes
écharpe subtile
tient à distance
ce que les hommes
apprirent et retinrent du loup
*
Rennes, 2021
la lumière aujourd’hui
n’a pas daigné
saluer mon salon
je n’en garde aucune
rancœur
— sinon pour moi
qu’ai-je fait pour
être si sérieux
si vérace
— impénétrable
je pensai à mon enfance
moi qui fut rivière
allant sans rien savoir
des transports minéraux
le soleil y barbotait
goulûment
ses rayons clapotaient
tout y était chair de poule
autant dire clair et humble
nous riions sans crispation
je n’ai pas été fidèle
à moutonner mes colères
mes contradictions froissées
mes petites pétrifications
mes calculs et mes autres
lâchetés faites au monde
ce jour
je ramasse humblement
ma poussière
demain me dira bien
ce que je suis
ce que je ne suis pas
*
la poisse aujourd’hui dense
des bras ballent lentement
comme ces branches lourdes
de noisettes trop vertes encore
la poussière de craie fait crisser
toute l’étendue du ciel où rien ne glisse
mais ici tout s’accroche et s’agrippe
les vêtements et les remords
*
il ne distingue plus
l’étoile filante
de l’éclat d’obus
le gosse courbatu
et la mort aimante
son quignon ardu
il pousse rêche et dru
tandis que s’aimantent
aigreurs et rebuts
*
moi c’est le trèfle qui me cueille
me surprend sur les routes prises
m’arrache à l’infertile glèbe urbaine
— aubaine terreuse
ah ces mains savonneuses, ces saluts pressés
ce compte juste des jours
cette trace chiffrée
ces mains précieuses et graciles
— ces donneuses d’ordre !
qui craignent les entailles qu’avive
la caresse venteuse
sentent-elles encore
je veux dire Saignent-elles encore
sans stylet à tenir ferme
sans même gratter la page jusqu’au sang
— vite caillé et noirci
restera toujours
(peut-être)
des basses œuvres
mais seuls les écorchés
pourront de droit ouvrir
le livre d’or et y parapher
la trace de leur vies
*
je fumais pour savoir jusqu’où mes soupirs
pouvaient se répandre
MARE NOSTRUM
marée noire
*
longtemps je me levais après le soleil
ne voulant rien entendre de l’origine
du poème
je vivais en une époque de fils et de filles
sous la dorure de la mollesse
sur une terre reliquaire
vint l’entraperçue
les insomnies en plein jour ;
malaise s’insinua
le locataire de mon corps devint
matinal — les lettres tout contre la voix
dans l’angoisse luxueuse du temps
*
les frênes familiers perdent leurs feuilles
à l’occasion de fines branches
naguère le vent
n’aurait pas suffi
ah mais le sentier se hérisse
la torche embrase au passage
les regrets
et la voie ferrée
*
paraît-il qu’on ne repêche que des corps
sous les bandages gris bleus de la Méditerranée
chaque jour ou presque un peu plus salée
MARE NOSTRUM
*
le sel de mes larmes
jamais ne me fera boire la tasse
MARE NOSTRUM
tandis qu’ils sombrent
dans l’azur de notre indifférence
*
l’azur raison fait raser les murs aux ombres
les cernes des martyrs sont des auréoles inversées
et nous tendons nos bras de noyade
MARE NOSTRUM
Reprise du chant
c’est la poitrine d’un jour plein
du même bleu de songe
qui se lève et s’allonge
puis qui revient
des collines
à la lande nue
à perte de vue
la fessée du vent
et l’on s’aime
pour moins que ça
un merle surpris file droit
galet ricoche
et la forêt avale tout
jusqu’à mon nom
l’instant intime d’une brise
lui viendra
des papillons traçant des perspectives
malhabiles et chancelantes
reste frêle avec les frêles
*
il vente à en défroisser nos cernes
je crois voir, heure présente
que la cataracte du lierre
n’accapare que mes pensées
les moins souples
les plus raides
taillez le bois mort
vous me surprendrez
tendre
dans la venelle hivernale
de notre passé
l’aube et l’amour captifs
dans une vague idée
portée par une tête lourde
quand vient le soir
l’impossible arrive, il
est bruyant dans sa marche
l’air comprimé passe en trombe
je n’ai pas su bien lire
l’écriture hésitante des racines
à fleur de marche
à qui appartient ce cri
ce rêve de fougère
la butée m’interpelle
faisant jaillir des volatiles
aux noms oubliés
d’où vient l’unisson de nos
corps disparates
quelques branches éparses
l’éclat de la cerise fendue
ton appétit d’enfant
à vol d’oiseau se plaisant
tout est là, tout est nu
sans rien toucher
la beauté encombre
tes mains
*
d’après Geneviève Asse
harpe au tendon
foulée du feuillage
marches automnales
déliées à notre passage
bruissement du jour
attendre, en nage,
legato irréparable
banc de nuages
tu cours l’amour
chante l’âge
sur le parterre du ciel
aux bleus d’Asse
*
Pour Julie
soeur de mars
louée l’averse en elle
qui n’a le luxe
du cristal
rien ne s’additionne
tu me succèdes
la pointe du bourgeon
à la gorge
je me rends
inombragée
une seule et même pièce
la vie passée dehors rétive, à l’évidence
rétive
la buse épie l’en-bas
se méprend-elle parfois
sur notre allure vive
l’étreinte de l’eau fraîche
rameute les sens égarés
revenus de leurs fausses pistes
au foyer glacé de l’attention
présence du poème
la traque
du lit ardent de l’union
marche quotidienne
suivre le poème à la trace
la joie éparpillée
livrée à elle-même
l’énergie papillonne
remuement inaudible du branchage
tamis d’une idée fixe
jours durant
et ce râle continue de la circulation
empêchée des automobiles
tache noire : fatigue ou corneille
point de fuite
défenestrée
franchit-on jamais le seuil et surtout
peut-on s’y reposer un moment
improbablement
imperturbablement
comme le mendiant horizontal dans la rue
sa poussière dans l’œil
*
confiance en la branche qui te retient
allant sans crier garde
sur les pistes rebattues
confiance en la racine qui te plaque
au sol meuble et frais
la terre palpite horizontale
il n’y a plus de chemin
et la neige n’est pas fautive
reste l’ombre de tes pas
et le chemin à tracer
soleil céramique au matin
la face aplatie : tant de grandeur
hors les murs
l’infortune
ni chaud ni froid
je tends les bras
pour un monde préférable
tendresse tenue jusqu’au fêle
la surface argentée de l'étang
recueille, vase funéraire,
une pluie de feuilles frissonnantes
lente agonie du beau
spectacle et flanelle de fleur fanée
qui s’effare
qui a l’idée de la courbe
ligne de partage
tristes mathématiques
un ciel de vaincu
éclabousse la tôle
et le zinc des toits
fenêtre ne dit mot
qu’importe en silence
je me pencherai
sur mon ouvrage
lampe au chevet
une araignée pour fraternelle
animale
*
si ce jour parmi tant d’autres
j’ai pu dire je
c’est grâce à vous
je sais mon poids
me sais vulnérable et veux être ainsi
panier tressé accueillant
des fruits
poterie un peu gauche
obèse aimante
arracheur de lierre dans les
haies
galet mordoré tétant l’eau
lové dans une rivière au nom coquet
où seuls les enfants, à la peau
d’ocre, au grain fin et gras
vont se baigner — les sauvages
tandis que leurs parents flairent
la fugue à la trace
je suis le galet empoigné
suant en filets limpides
d’une eau claire opalescente
pour être balancé
d’une rive à l’autre
d’une demeure à l’autre
il vit ainsi de ces transports
hôte muet de tant
de mains
par ces ricochets
il pèse si peu, alors,
peu importe où
il retombe
***
**
*