Le dépôt
Rien suivi de Récoltes de pluie en charretées de ciel
Rien
Il ne se passe rien. Alors écrire ce qui ne se passe pas. Le corps se traine au rythme lent des heures qui passent. L’énergie est notre avenir, économisons-la, entend-on à la radio. Mon énergie à moi est restée avec mon passé, bien accrochée à un porte-manteau de vestiaire. Les ronces ont déjà entamé l’ascension vers mon cerveau. Je me laisse porter par l’escalator des habitudes du quotidien. Rien n’avance. Pas même l’envie d’avancer. Rien ne se passe à part le temps. Le temps qui passe et qui pèse. Qui pousse et qui presse. Qui repousse tout espoir de s’en affranchir. Je ne crois plus en la renaissance des horizons.
Il ne se passe rien. Je n’en suis pas fier. Tout juste bon à observer les corneilles dans l’arbre devant la fenêtre. Las de tant d’automnes à voir les feuilles tomber et les fossés se remplir. Las de tant d’hivers sans neige et leur terre lourde au pas. Las de tant de jours refermés sans avoir été vraiment ouverts. Je le sais, il n’y a aucun romantisme dans la lassitude et j’ai un peu honte d’écrire ce néant. Les saisons continueront de peser jusqu’à l’écrasement des illusions. Le retour d’un été nous sera surement arraché des mains. Il ne se passera rien.
Récoltes de pluie en charretées de ciel
récoltes de pluies en charretées de ciels
(inédit)
« Lorsque ce que l'on voit
efface
d'improbables secrets
glanés aux averses »
Pierre-Yves Soucy
« Fragments de l'éveil »
quel est ce fil
qui tombe ainsi
de son écriture
verticale
l'eau se cogne
et l'image doute
gouttes de miroirs
offertes à la ville
*
la pluie
se paye ma poésie
plancher de papier
sous mes pieds
détrempés
*
il pleut
sur le bleu
de Sully Prudhomme
devant l'église
un mendiant
secoue ses phrases
pour être présentable
tanguent ses mots
et dans sa main
un mur passe
*
un nuage
ne regardant pas
à la dépense
dilapide sa pluie
en un rien de sale temps
*
s'engrisaillent
bois comme béton
tous égaux sous la pluie
et moi aussi
dans la rue
seul le sens interdit
reste vivant
*
maintenant nuit
noir en pluie
transperce
la lumière
- angle mort -
père en allé revient
séparer l'eau
de l'acier
seule son écharpe
me protège
*
l'orage d'un pas lourd
sur l'acier des voitures
c'est la fin de l'école
et la pluie s'écoule
sans aigrir ton regard
*
la terre ne fait plus silence
il a fallu allumer tôt
il n’y a plus de couleurs
aux fenêtres
la pluie jamais
ne se retourne
*
la pluie se cherche
d'improbables fontanelles
un torrent creuse sa mort
fugue de pierre
descelle en sol
bientôt la sentence de l'ombre
et la seule voix
pour marquer la chute
*
des cils
des heures
des marques du temps
et le poids insupportable
des saisons hésitantes
*
hiver
impatient de givre
de dépit un crachin
en gouttes de paix
à fleur de pull
mes mains en bâton
*
un chemin empêche
la terre
et le ruisseau
livre sa pierre
*
en bout de gel
les terres boueuses
relâchement d'avant soc
des chairs flasques
ornières d'eau noire
on y laisserait le pas
le ciel à genou
un cheval y fouille sa mort
*
printemps désaccord neige
le froid craquèle
et s'enfièvre de bleu
terre-épaule
au temps se voûte
le jour nous attend
et déjà s'invite l'eau
la mémoire des rives
sans le voyage
mais la pluie
n’a de rives
que la lumière
*
pluie bretonne
pluie poids plume
jamais tombée
mais posée
les gens simples
ne veulent pas déranger
*
il pleut des barreaux
l'orage a sorti
son trousseau de cris
pluie-panique
au bord des routes
un nuage
est tombé au fossé
*
du bleu du lieu
qu’un orage
du noir des ardoises bleues
l’inclinaison du miroir
une lumière dit sa prière
à l’horizon
*
les toits ont jeté
leurs oiseaux
passage de noir
en haleine lourde
ciels de douve
à canons tendus
j’ai oublié le titre
de cet orage
*
nuages
étrange langage
que ces couleurs
sur la prairie
*
l'eau ruisselle
et dans son repas
de poussière
affole une fourmi
*
comme une entrée
dans la pluie un corridor
de pierre délavée
une sensation de ligne
de front les coups
devant les corps
*
quelque chose
d'une langue
à l'avant des boues
un ordre fait feu
les animaux ont compris
ils ne gagneront pas
*
dans le lointain
d’un mouvement souple
un nuage transi
s’avance vers le feu
relief transparent
vieilli d’étain
devenu menace
dans le lourd
d’un mouvement bas
perce l’écorce – son secret
des pluies mortelles –
*
lame ciselée
de lumière
et de cri
couteau blotti
en plein cœur
de l'orage
*
quelque chose
d'une voix
effondrée
– cède la bouche –
le baiser d'une forge
expectoré
l'orage fait aube
renaissance à nu
*
éveil calme
en draps blancs
les oiseaux
se tricotent un bleu
et je peux repartir
en paix
*
vers la blancheur
sans voix
l'eau élémentaire
vers la blancheur
un oiseau
en éclat de vol
un écho ne dure
que d'amertume
*
l'automne balbutie
ses feuilles mortes
et remonte son col
la pluie ne va pas empêcher
la nuit d'étendre ses branchages
pose tes mains sur l'écorce
le chêne se souviendra longtemps
de ce soir en ciel de boue
*
froid soufflé dans les mains
défaite des feuilles mortes
la pluie ramène d'autres noirceurs
en tombant forme plainte
en lavé-sali
le sol embarque les rives
*
un dimanche à ciel ouvert
tout autour l'automne assorti
chacun sa pluie enfermée
le mourir plonge ses ongles noirs
chute du froid des feuilles
mortes entre crachin et solitude
le vent dégueule ses morts
dans les recoins
un homme arrache ses mauvaises herbes
perdu dans ses mauvaises pensées
*
blanc est le ciel
noire est la terre
peu importe ses hommes
il n'y a que leurs pas
occupés à autre chose
n'avoir rien à penser
appauvrit le pas
dirait le poète
*
je ne suis matin
que par l'absence
l'attendu d'un autre monde
étranger-familier
porté par l'habitude
de chercher mon chemin
*
les nuages déclament
ma pluie
comme une souffrance
trop longtemps contenue
*
pluie immobile
à pas de boue
détrempe la lumière
vissée en moi
mes pensées se font ornière
et l'orage s'offre une peau
*
ici éloigné
quelques traces d'absence
un fil secret
me retient de toute averse
traversée malhabile
en silence itinéraire
et dans ma main
ta bouche furtive
*
jeune homme des fêtes
je nomme défaite
cette pluie grise
dont on fait les hommes
je nomme jeunesse
jeune homme jeu n'est-ce ?
*
temps voûté
froid inox
emmitouflés de pierres
et de certitudes
et si c'était nous
la grisaille ?
*
la nuit a fini
de jouer sa partition
le matin choisit ses chiens
pour le gibier du jour
des yeux effrités
– mais qu'importent les yeux
au jour de l'absence –
s'agrippent à leur bleu
il est temps
– trop tard pour un destin –
revêt ta vie
d'un manteau d'averse
*
le ciel
a changé de draps
les bleus
bien repassés
seule l’ombre
fait pli
toute la journée
rester au fond du bleu
*
Quelques uns des poèmes de cet ouvrage ont été publiés dans les revues :La Page Blanche, Nouveaux Délits, Libelle, Microbe, Mot à Maux, Lieux d'Etre, Littérales, Temporel, Point Barre, Flammes Vives, Le Moulin de Poésie, An Amzer, Soc et Foc..
Que leurs animateurs en soient très sincèrement remerciés.
© Denis Heudré 2009
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