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AUTEUR-E-S - Index I

14 - Denis Heudré

Rien suivi de Récoltes de pluie en charretées de ciel


Rien



Il ne se passe rien. Alors écrire ce qui ne se passe pas. Le corps se traine au rythme lent des heures qui passent. L’énergie est notre avenir, économisons-la, entend-on à la radio. Mon énergie à moi est restée avec mon passé, bien accrochée à un porte-manteau de vestiaire. Les ronces ont déjà entamé l’ascension vers mon cerveau. Je me laisse porter par l’escalator des habitudes du quotidien. Rien n’avance. Pas même l’envie d’avancer. Rien ne se passe à part le temps. Le temps qui passe et qui pèse. Qui pousse et qui presse. Qui repousse tout espoir de s’en affranchir. Je ne crois plus en la renaissance des horizons.

 

Il ne se passe rien. Je n’en suis pas fier. Tout juste bon à observer les corneilles dans l’arbre devant la fenêtre. Las de tant d’automnes à voir les feuilles tomber et les fossés se remplir. Las de tant d’hivers sans neige et leur terre lourde au pas. Las de tant de jours refermés sans avoir été vraiment ouverts. Je le sais, il n’y a aucun romantisme dans la lassitude et j’ai un peu honte d’écrire ce néant. Les saisons continueront de peser jusqu’à l’écrasement des illusions. Le retour d’un été nous sera surement arraché des mains. Il ne se passera rien.




Récoltes de pluie en charretées de ciel



récoltes de pluies en charretées de ciels


(inédit)








« Lorsque ce que l'on voit

                              efface  

d'improbables secrets

                                       glanés aux averses »


Pierre-Yves Soucy

« Fragments de l'éveil »










quel est ce fil

qui tombe ainsi

de son écriture

verticale


l'eau se cogne

et l'image doute 

gouttes de miroirs 

offertes à la ville


*





la pluie

se paye ma poésie


plancher de papier


sous mes pieds

détrempés


*

il pleut

sur le bleu

de Sully Prudhomme


devant l'église

un mendiant

secoue ses phrases

pour être présentable


tanguent ses mots

et dans sa main

un mur passe 


*

un nuage

ne regardant pas 

à la dépense


dilapide sa pluie

en un rien de sale temps


*

s'engrisaillent

bois comme béton

tous égaux sous la pluie


et moi aussi


dans la rue

seul le sens interdit

reste vivant 


*

maintenant nuit

noir en pluie 


transperce

la lumière


- angle mort -

père en allé revient


séparer l'eau

de l'acier


seule son écharpe

me protège


*

l'orage d'un pas lourd

sur l'acier des voitures


c'est la fin de l'école


et la pluie s'écoule

sans aigrir ton regard 


*

la terre ne fait plus silence

il a fallu allumer tôt


il n’y a plus de couleurs

aux fenêtres


la pluie jamais

ne se retourne


*

la pluie se cherche

d'improbables fontanelles

un torrent creuse sa mort


fugue de pierre

descelle en sol


bientôt la sentence de l'ombre

et la seule voix

pour marquer la chute


*

des cils 

des heures

des marques du temps


et le poids insupportable

des saisons hésitantes


*

hiver 

impatient de givre


de dépit un crachin

en gouttes de paix


à fleur de pull

mes mains en bâton


*

un chemin empêche

la terre


et le ruisseau

livre sa pierre


*

en bout de gel

les terres boueuses


relâchement d'avant soc

des chairs flasques


ornières d'eau noire

on y laisserait le pas


le ciel à genou

un cheval y fouille sa mort


*

printemps désaccord neige

le froid craquèle

et s'enfièvre de bleu


terre-épaule

au temps se voûte

le jour nous attend


et déjà s'invite l'eau

la mémoire des rives

sans le voyage


mais la pluie

n’a de rives 

que la lumière


*

pluie bretonne

pluie poids plume


jamais tombée

mais posée


les gens simples

ne veulent pas déranger 


*

il pleut des barreaux

l'orage a sorti

son trousseau de cris


pluie-panique

au bord des routes

un nuage 

est tombé au fossé


*

du bleu du lieu

qu’un orage


du noir des ardoises bleues

l’inclinaison du miroir


une lumière dit sa prière

à l’horizon


*

les toits ont jeté

leurs oiseaux


passage de noir

en haleine lourde


ciels de douve

à canons tendus


j’ai oublié le titre

de cet orage


*

nuages

étrange langage


que ces couleurs

sur la prairie


*

l'eau ruisselle

et dans son repas

de poussière

affole une fourmi


*

comme                          une entrée 

dans la pluie                  un corridor 

de pierre                       délavée

une sensation                de ligne

de front                         les coups

devant                           les corps


*

quelque chose

d'une langue

à l'avant des boues

un ordre fait feu


les animaux ont compris

ils ne gagneront pas


*


dans le lointain

d’un mouvement souple

un nuage transi 

s’avance vers le feu


relief transparent

vieilli d’étain

devenu menace


dans le lourd

d’un mouvement bas

perce l’écorce – son secret

des pluies mortelles – 


*

lame ciselée

de lumière

et de cri


couteau blotti

en plein cœur

de l'orage 


*

quelque chose

d'une voix

effondrée

– cède la bouche –


le baiser d'une forge

expectoré

l'orage fait aube

renaissance à nu


*


éveil calme 

en draps blancs 


les oiseaux 

se tricotent un bleu


et je peux repartir

en paix


*

vers la blancheur

sans voix

l'eau élémentaire


vers la blancheur

un oiseau

en éclat de vol


un écho ne dure

que d'amertume


*

l'automne balbutie

ses feuilles mortes

et remonte son col


la pluie ne va pas empêcher

la nuit d'étendre ses branchages


pose tes mains sur l'écorce

le chêne se souviendra longtemps

de ce soir en ciel de boue


*


froid soufflé dans les mains

défaite des feuilles mortes


la pluie ramène d'autres noirceurs

en tombant forme plainte


en lavé-sali

le sol embarque les rives


*


un dimanche à ciel ouvert

tout autour l'automne assorti


chacun sa pluie enfermée

le mourir plonge ses ongles noirs


chute du froid des feuilles 

mortes entre crachin et solitude


le vent dégueule ses morts 

dans les recoins


un homme arrache ses mauvaises herbes

perdu dans ses mauvaises pensées


*


blanc est le ciel 

noire est la terre


peu importe ses hommes 

il n'y a que leurs pas

occupés à autre chose


n'avoir rien à penser 

appauvrit le pas

dirait le poète


*


je ne suis matin

que par l'absence


l'attendu d'un autre monde

étranger-familier


porté par l'habitude

de chercher mon chemin


*

les nuages déclament

ma pluie


comme une souffrance

trop longtemps contenue 


*

pluie immobile

à pas de boue


détrempe la lumière

vissée en moi


mes pensées se font ornière

et l'orage s'offre une peau


*

ici éloigné

quelques traces d'absence


un fil secret

me retient de toute averse


traversée malhabile

en silence itinéraire


et dans ma main

ta bouche furtive


*


jeune homme des fêtes

je nomme défaite


cette pluie grise

dont on fait les hommes


je nomme jeunesse

jeune homme jeu n'est-ce ?


*


temps voûté

froid inox


emmitouflés de pierres 

et de certitudes


et si c'était nous

la grisaille ?


*


la nuit a fini

de jouer sa partition

le matin choisit ses chiens

pour le gibier du jour

 

des yeux effrités

– mais qu'importent les yeux

au jour de l'absence – 

s'agrippent à leur bleu

 

il est temps

– trop tard pour un destin –

revêt ta vie

d'un manteau d'averse


*


le ciel

a changé de draps


les bleus

bien repassés


seule l’ombre

fait pli


toute la journée

rester au fond du bleu


*



Quelques uns des poèmes de cet ouvrage ont été publiés dans les revues :La Page Blanche, Nouveaux Délits, Libelle, Microbe, Mot à Maux, Lieux d'Etre, Littérales, Temporel, Point Barre, Flammes Vives, Le Moulin de Poésie, An Amzer, Soc et Foc..

Que leurs animateurs en soient très sincèrement remerciés.




 




© Denis Heudré 2009

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