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Poèmes intemporels
POEMES INTEMPORELS
Poèmes grecs (I)
… Oh ces Grecs ! Ils s’entendaient à vivre : ce qui exige une manière courageuse de s’arrêter à la surface, au pli, à l’épiderme ; l’adoration de l’apparence, la croyance aux formes, aux sons, aux paroles, à l’Olympe tout entier de l’apparence ! Ces Grecs étaient superficiels – par profondeur !
(Nietzsche – le Gai Savoir)
AVERTISSEMENT AU LECTEUR
Je compte vous offrir, chers lecteurs de la Page Blanche, ma collection de Poèmes Intemporels en plusieurs épisodes .
Commençons par quelques poètes Grecs de l’antiquité, dont la vie s’étend certes du ~ V° siècle au I° ou II° siècle, mais qui mérite largement d’arriver jusqu’à nous, et même au-delà si le temps le permet…
Ces textes, qui succèdent à l’époque de la naissance de la philosophie et de la tragédie grecque, et vont jusqu’à l’époque de la naissance du christianisme, textes maintes fois traduits en français, unissent des canons classiques de la beauté à mon sentiment d’une esthétique toujours contemporaine. Je tiens à préciser que les sources de cette première présentation sont doubles, d’une part provenant d’une anthologie de la poésie grecque, choix, traduction, notices par Robert Brasillach, d’autre part de renseignements que j’ai pu récolter en particulier dans des articles encyclopédiques sur la vie et l’œuvre de ces maîtres, dont il ne nous reste très souvent que très peu. On peut en savoir plus sur la vie et l’œuvre de ces maîtres dans la somme érudite que représente La Couronne et la Lyre, un livre de Marguerite Yourcenar, avec comme sous-titre poèmes traduits du grec – collection Gallimard/Poésie.
Je dois préciser aussi que les textes que j’ai cru bon de retenir parmi les
choix personnels de Raymond Brasillach, ont été largement réécrits par mes soins, selon mon goût du moment et selon ma propre compréhension des originaux.
L’œuvre de Brasillach, romancier, auteur d’essais dont Présence de Virgile, poète – Poèmes de Fresnes, posthumes, parus en 1949 – œuvre très abondante - neuf gros volumes en haut des étagères de la bouquiniste de mon village, mêle le bon et le moins bon, comme sa vie (il fut fusillé au fort de Montrouge en 1945, pour avoir pactisé avec le diable).
Pourquoi ce titre de Poèmes Intemporels ? J’espère justifier cela tout au long des épisodes où je vous présenterai, aimables lecteurs, la vie et l’œuvre connue ou inconnue de quelques grands poètes de l’humanité.
EMPEDOCLE
Empédocle, dans la conscience moderne où il continue de vivre, représente l’homme antique dans sa force prométhéenne, l’initié de la nature et des sciences naissantes qui voulut dépasser la condition humaine et se précipita dans le feu divin de l’Etna, abandonnant à la terre, sur les bords du cratère, la dépouille de ses sandales.
La figure la plus bariolée de la philosophie ancienne, disait Nietzsche. Il est né à Agrigente en Sicile vers 490 avant J.-C. C'était un grand philosophe qui expliqua le monde au monde, et aussi un grand poète pour qui tout provient de la conjonction par l’Amour et de la disjonction par la Haine des quatre éléments, l’air, l’eau, la terre, le feu, et pour qui rien ne meurt jamais... De la cosmogonie de ses deux livres principaux, Les Purifications (les Catharmes) et Sur la Nature de l’Univers, il ne nous reste que 120 vers du premier et 400 du second. On comprend l’éblouissement de Nietzsche, Hِölderlin, devant l’éclat de ces fragments.
Les poèmes qui suivent sont deux brefs exemples de ce que j’entends par poèmes intemporels …
DOUBLE, CE QUE JE VAIS DIRE
Double, ce que je vais dire :
tantôt l’Un croît pour
seul être,
Tantôt il se sépare
et devient pluriel,
d’Un qu’il fut.
JE PLEURE ET JE SANGLOTE
C'est un oracle ancien, un secret scellé par serment divin,
Que si l’âme est souillée dans un moment d'égarement,
Que si elle s’abandonne aux lois de la discorde,
Que si elle blasphème, cette âme reçoit la très longue vie,
Elle erre sept cent mille saisons loin des bienheureux,
Et prend au cours de différentes naissances toutes les formes mortelles,
Empruntant chacun des sentiers escarpés où s’agrippe la vie.
Et c'est pourquoi la puissance de l'air l’engloutit dans la profondeur des mers,
L’eau la recrache sur la terre, le volcan l’expulse dans les flammes du soleil,
Le soleil la renvoie dans les tourmentes aériennes,
Et de l'un à l'autre la voilà ballottée.
Par tous les éléments elle est tenue en horreur.
Moi aussi, maintenant je suis une de ces âmes,
Je fuis les dieux, et je vais errant,
Parce qu'un jour la Haine a détruit mon cœur.
Je fus, pendant un temps, le garçon, la fille,
L’arbre, l’oiseau, le poisson du fond des mers.
Et maintenant, devant la demeure inconnue de mon âme,
Je pleure et je sanglote.
CRITIAS
Critias, aristocrate athénien, l’un des trente tyrans d'Athènes, cousin de la mère de Platon, fut l’élève avant de devenir l’ennemi de Socrate. Cet homme politique, ennemi aussi de la démocratie, formé à l’école des Sophistes, écrivit des drames philosophiques et des notices en proses ou en vers au V° siècle avant notre ère.
Quand la sagesse (ou la folie) d’un philosophe s’unit à la passion d’un poète, cela donne…attention, piège…
L’AMOUR DIVIN
Il fut un temps où les hommes vivaient à la façon des bêtes sans d’autres lois que la force et la ruse. Il n'y avait pas de récompense pour les gentils, et pour les méchants il n'y avait pas non plus de punition. Ce n'est que plus tard que les humains firent les lois et les châtiments, afin que la justice gouverne, et que la force et la ruse fussent combattues.
Alors le mal que l'on pouvait faire commença à se payer cher.
Mais, comme les lois ne parvenaient pas à empêcher des violences de se produire, et qu'on faisait aussi le mal en se cachant, j'imagine, ma foi, que quelque homme dont l'esprit était particulièrement alerte eut l'idée de s’introduire dans le livre des croyances, afin de faire peur aux gens quand ils feraient quelque chose de répréhensible, que ce soit par action, par parole ou même par pensée.
II leur dit qu'il n’y a qu’un Etre qui ne naît ni ne meurt, qui entend tout, qui voit tout et qui connaît tout, et dont la nature est si divine que rien ne lui échappe de ce qu’imaginent les mortels, capable de deviner toutes actions qui se trameraient sous la terre comme dans le ciel.
… Et quand bien même tu serais muet sur la faute que tu prémédites, sache que l’Etre la sait déjà.
J’imagine que ce professeur de miracles a rendu le meilleur de son enseignement acceptable en
enveloppant son discours de vérités. Il a raconté par exemple que l’Etre séjournait où il pensait que cela ferait très peur aux gens, dans le ciel, où éclatent nos terreurs et aussi nos joies, unies pour d’éphémères amours.
I1 logea les gens dans la voûte, sous des éclairs et des fracas de tonnerre, par-dessous les étoiles, merveilles que le Temps, l’habile architecte, a disposées. C’est de la voûte que jaillit l’étincelante étoile filante, c'est de la voûte que coule sur le sol la pluie généreuse.
Tels sont les murs qu'il sut ériger au-dessus de nos têtes, et sa fable couronna ainsi, dans le temple, la divinité, et établit sa loi par la crainte de nos esprits.
Et c'est ainsi qu'un jour un menteur, le premier des menteurs j’imagine, persuada les autres qu'il existait une espèce divine.
CHEREMON
Ce dramaturge du IV° siècle avant notre ère fut lui aussi un maître du théâtre littéraire. Il ne nous reste de lui que quelques vers. Cheremon, anecdote révélatrice, considérait Moïse non comme un grand législateur, prophète de la religion mosaïste, mais comme un hérétique, un Israélite, de ce peuple que chassèrent les pharaons.
Quelques vers dans l’espace flottant, comme un désir…
LES BACCHANTES
A la clarté lunaire un sein blanc jaillissait
D’une tunique ouverte et c'était la première.
La seconde en dansant dégrafait sur sa hanche
Haute sa robe, et révélait ainsi
Sa belle nudité, dessin vivant,
Et dans le soir s’allumait sa chair blanche.
Une autre encore laissait pendre ses bras harmonieux,
Noués au tendre cou de l’amie.
Une mante de laine s’entrouvrait,
Découvrant une jambe où l’Amour sans espoir
S’en allait d’un sourire.
Elles dormaient ainsi, sous les ailes des aulnes
Aux feuilles sombres froissant des violettes
Le safran d'où coulait l’ombre jaune
Glissée dans les plis de la mante.
Selon que de rosée gonflait la marjolaine
Dans les molles prairies dressant sa tête.
PHILOXENE DE CYTERE
Voici les reliefs d’un banquet, le Banquet de Philoxène de Cythère, qui précédera Epicure de deux siècles, et mourut au début du ~ IV° siècle, après avoir vécu à la cour des tyrans de Syracuse. Ce fragment de texte, gargantuesque, fait contraste avec la légende de sobriété et de mesure grecque de l’époque. Le poème du Banquet fut illustre dans toute l'Antiquité, Aristote le révérait.
Interminable banquet où s’allonge le poète…
LE BANQUET
Sur nos mains l'eau fut versée. Ce fut un frais adolescent qui a pris l'aiguière d'argent, penchant sa couronne en guirlandes de myrte léger. Puis des couples d'enfants nous ont apporté d’immenses tables ; Et bientôt la salle en fut pleine, et quand ensemble ils portaient les tables, elles brillaient sous l'éclat des hauts lustres, de leurs bassins, de leurs vases, de leurs saucières, partout, partout ce que l'art invente de mieux pour rehausser le goût et enchanter les cœurs.
Et d'autres disposèrent du pain dans des corbeilles et des flacons de liqueurs.
C'est alors qu'arrivèrent, mon vieux, non pas une marmite mais des marmites monstrueuses, où s'entassaient immensément et magnifiquement je ne sais combien de matelotes d'anguilles, de gigantesques bouillabaisses avec des congres à faire monter l'eau à la bouche du bon Dieu.
Et il y avait encore, au moins aussi excellent et parfaitement rond, un plat de raie savoureuse, entourée de petites marmites avec des bouchées au requin bien remplies (ça, c'est un plat qui vous sonne).
Ensuite, il y avait tout un éboulis de poulpes et de calamars, de poulpes aux mille pieds et aux cent millions de cheveux, puis on vit apparaître, grand comme la nappe, servi tout chaud et entier, un monstre du Lac aux mille dents d’acier, une vapeur de feu l'entourant.
Et voilà qu’on nous amène par‑dessus le marché, des seiches pomponnées, des crevettes multicolores et des écrevisses rougissantes, et après ça des compotiers pleins de verdure et
des crudités qui moussent où elles se glissent, et du pain bis, et des pains bien bourratifs parfumés au vin, brume douce et acide…
Ah ça ! C'est ce que par chez nous, je sais bien, on appellerait des plats de résistance !
Mais pas ici, non, crédieu ! Voilà qu'on nous présente une espèce de prodige, un thon grillé là-bas dans la cuisine, tranché vif et précipité au feu.
Et, crois-moi, s'il avait fallu grimper sans jouir au sommet de cette espèce de monument stomacal, toi et moi ensemble, je crois que nous aurions eu une érection assez pyramidale !
Mais la mienne a passé… S’ensuit encore une tournée, où, sans que personne trouve à redire, je pouvais encore piocher. Tout ça, c'était pour nous. Seulement, devant foies et gésiers brûlants nous avons calé.
Et puis ce fut le boudin de cochon nourri à la cuillère, avec sa longe, avec ses râbles, avec tout ça, bien grésillant et bien chaud.
Et voilà enfin les plats de résistance : notre serveur avait dressé dans le plat un chevreau, nourri au lait, cuit à l'étouffée, quelque chose d'invraisemblable, et des abatis cuits à point, des côtelettes avec tout leur gras bien blanc, le museau, la tête, les pieds, et des croquettes épicées, d'autres viandes encore, mouton, agneau, en sauce, grillées, et par‑dessus le marché, ô ! tentation, des andouillettes miraculeuses, moitié chevreau, moitié agneau, que même le bon Dieu convoiterait ça.
Ah ! j'espère, mon vieux, que tu en feras bien, un pareil festin !
Et il y avait par là-dessus des morceaux de lièvre et même de poussin, et des perdrix, des pigeons rôtis, et de tous côtés les viandes chaudes dégoulinaient sur les tables, puis ce furent des pâtes feuilletées au miel blond avec leur lait caillé que j'ai bien reconnu, et que tout le monde prenait pour des fromages.
Et lorsque les invités en ont fini de manger et de boire et que les serveurs ont débarrassé la table, les enfants nous ont versé l'eau sur les doigts, en faisant couler des lotions d'iris sur l’eau, l'eau tiède et caressante, autant d’eau que nous en avions besoin, puis ils nous ont donné de blanches serviettes, de belles serviettes de lin blanc embaumé de guirlandes de violettes.
Mais voilà qu'on nous ramène les tables éblouissantes qu'on avait emportées, qu'on les ramène comme des coffres regorgeant de richesses.
C'est ce que le commun des mortels appelle le deuxième service et que nos dieux vénérés nomment “corne d'Amalthée ”.
Au milieu, on voyait trôner ce qui pour nous vivants reste un délicieux sujet, quelque chose de moelleux, de blanc et de doux, qui d’un pudique tissu, léger comme une toile d'araignée, se voile la face afin de se protéger des troupeaux d'abeilles, un délicieux sujet né du pis des brebis d’Aristée, à qui la sécheresse fait abandonner ses sources quand la saison leur fait rebrousser chemin. C'est le gâteau de “pistil” Ensuite, une artisane aux mains diligentes et au palais délicat m’a servi ses friandises qu'on appelle des “chatteries du bon Dieu ”.
Puis on distribua une crème parfumée de safran avec un caramel aux pois chiches pilés et blondis au feu, ce qui est quelque chose de vraiment épatant, un plat d’une douceur infinie...
Et par-dessus tout ça est venu s'empiler, pareil aux rayons de la ruche, un chapelet de beignets passés à l'huile d'or, qu'on appelle “couilles de cochon ”.
Et des biscuits bien ronds et délicieux à profusion ! Et des gâteaux au miel, sans compter, lié à la farine de sésame ! Et des gâteaux de lait, mêlés de miel aussi ! Et des galettes de fine fleur ! Et encore des blinis de lait caillé au sésame, vaporisés dans l'huile bouillante et saupoudrés aussi de sésame ! Et encore des pois parfumés au safran cueillis à la primeur ! Et des œufs remplis d’amandes à l'écorce douce et de noisettes qu'aiment les enfants ! Bref tout ce qu’il faut pour une table de riches et de puissants.
Enfin on a répandu la boisson et des bavardages amicaux ont commencé autour des verres,
Et l'on fit de charmants bons mots, tout neufs, que chacun admirait.
Ah ! prenons la coupe des banquets,
Le rince-doigts plein de rosée :
Le dieu du vin nous donne sa douceur,
Versons la joie dans nos cœurs.
Buvons le nectar dans sa coupe,
Dans la coupe dans l'or creusée
Et lentement, lentement, vidons-la !
CRATES DE THEBES
Le Philosophe Cratès de Thèbes était cynique. Il avait la manie d'entrer dans les maisons sans y être invité pour dire aux gens ce qu'il pensait d'eux. Aussi l'appelait-on l'ouvreur de portes. Il vivait au IV° siècle avant notre ère, il ne nous reste de lui que des fragmente d'Elégies, des débris d'Iambes et des Parodies.
Plus qu’un philosophe, le cynique est un artiste…
LIVRE DE COMPTE
Donne vingt sous à ton médecin,
Une pièce à ton cuisinier,
vingt-cinq pièces à qui te flatte bien,
aux conseillers de la fumée,
cinq pièces pour les jolies filles,
dix sous pour la philosophie.
REMبDES A L'AMOUR
La faim est un assez bon remède à l'amour
Si ce n’est pas suffisant le temps reste un sûr allié.
Si l’amour résiste aux deux et si tu trouves une corde,
Accroche-la et pends-toi !
BESACE, CAPITALE DU CYNISME
Voici Besace, au sein des flots noirs de l’orgueil,
Capitale féconde et coquette où nul ne garde rien.
Le parasite idiot ne s'y laisse pas voir, ni le bon
Connaisseur en fesses de putains.
Le thym, la figue, l'ail
Couvrent le sol de l'île, et le pain y est sec.
La guerre est inutile.
On n'en dispute pas les fruits entre habitants.
Là, l’on ne se bat pas pour la gloire ou l'argent.
MENANDRE
Longtemps on ne connut de Ménandre que quelques citations éparses, des pensées de quelques pieds, et les imitations latines qu'en fit Térence, quand on découvrit en 1844, dans un monastère du mont Sinaï, des fragments de ses pièces de théâtre et dans un codex en 1905, d’importants fragments de ses comédies. Ménandre écrivait dans une langue raffinée (l’Attique était alors la langue du monde grec). Selon Ovide, “aucune pièce de Ménandre n’est dépourvue de son affaire de cœur ”.
Dramaturge du ~ IV° siècle - en ~316 il remporta un prix littéraire avec le Dyscolos, et fut couronné aux fêtes dionysiaques l’années suivante - Ménandre fut l’inventeur de la comédie de mœurs. Ménandre, selon un vœu illustre, mourut jeune, noyé dans le port d’Athènes.
Sa mère disait qu’il avait le front d’un philosophe et les narines d’un poète…
NOS DIEUX
ةpicharme disait de nos dieux qu’ils étaient sol, vent, feu, eau, soleil, étoile. Mais pour nous, et selon moi, les dieux de nos foyers sont d'or et d'argent, si vous voulez bien m’en croire. Quiconque ayant mis ces dieux en sa demeure, leur demande ce qu'il veut, aussitôt tout vient, terres, maisons, service, belle vaisselle, amis, magistrats, et quand il faut, témoins. Il suffit de savoir payer à bon escient, et nous voyons ces dieux compter par-dessus tout chez nous.
A LA MORT
Veux-tu savoir vraiment ce que tu es, regarde dans le tombeau qui borde le sentier. Ici dorment des os et la poudre d’un roi, d’un tyran ou d’un sage, ceux dont l'or ou le sang firent leurs âmes fières, et la gloire peut-être, et la beauté.
Le temps ne laisse rien de nos vastes biens et unit au tombeau tous les êtres humains, et si tu veux toujours savoir, c’est là qu’il faut porter encore ton regard.
HUMAIN, TROP HUMAIN
Homme, ne vise pas au-dessus de l'humain. Ne fuis pas ce qui est pour chercher l'invisible.
Vivant propriétaire de dix mille arpents, tu n'auras plus, à ta mort, que quatre pieds sous terre.
Dans un chœur, tous ne chantent pas ; deux ou trois sont muets, au dernier rang blottis, et pour faire nombre ils restent là. Ainsi va la vie. Faire de la présence est pour le pauvre gars. Les vrais vivants sont ceux qui ont l'argent.
Ceux qu'aiment les dieux disparaissent en pleine jeunesse.
CALLIMAQUE
Callimaque laissa à ses contemporains une œuvre immense, tant en prose qu’en vers, dont la tradition manuscrite, l’Anthologie Palatine, nous a gardé intacts seulement six Hymnes et une soixantaine d’Epigrammes. Selon une biographie laissée par les Anciens, cet érudit bibliothécaire du Musée d'Alexandrie fut l’ami des Ptolémée, connut la gloire à leur cour et fut connu comme un chef d’école dans le grand renouveau littéraire de cette époque. Il vécut au ~ III° siècle.
Sel d’une vie et d’une œuvre, poèmes inspirés de la vie quotidienne et des légendes de Cyrène, sa patrie…
LE MATIN
Ce n’est plus l’heure de la quête amoureuse.
On voit briller le feu des lampes du matin.
Voilà bientôt le porteur d'eau qui lance son refrain,
Et celui dont la chambre est tournée sur la rue
S'éveille aux grincements de l'essieu des charrettes.
Et voici le gars de la forge, à coups retentissants,
Qui casse et supplicie les oreilles des gens.
FIEVRE FUNESTE
Déjà la jeune fille a partagé sa couche avec un enfant mâle pré nubile, selon le rite qui veut qu’une fiancée dorme du sommeil prénuptial avec un garçon qui ait encore son père et sa mère.
Et l'on dit que la déesse des Unions... Oh chien ! Arrête ! Oh chien ! Oh cœur impudent ! Tu vas dire ce qu'il est sacrilège de révéler, et encore heureux que tu n'aies pas vu les mystères de la déesse redoutée car tu en aurais bientôt révélé le secret ! Trop savoir est funeste pour qui ne sait pas tenir sa langue. Et c'est l'enfant qui possède le couteau, il faut le dire…
Le lendemain matin les bœufs devaient voir - et leurs cœurs d’avance en avaient mal - le coutelas aigu se refléter dans l'eau lustrale, mais le soir, la jeune fille fut saisie d'une pâleur de mauvais présage, et s'empara d'elle cette fièvre que nous faisons passer par exorcisme dans les chèvres sauvages, cette fièvre que nous appelons faussement mal sacré, et c’est cette fièvre funeste qui consuma la jeune fille, et la conduisit jusqu'aux marches du Trépas.
***
A suivre
27/05/01
p.
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