La
page
blanche

Le dépôt

NOTES CRITIQUES ET LIENS

Notes critiques

Critique de texte - L'éthique du texte - Débat


Héraclite : " De ce qui diverge procède la plus belle harmonie. "


Chaque personne invitée au dépôt peut participer au débat en écrivant son point de vue dans le dialogue à la suite du précédent et en commençant par écrire l'initiale de son prénom. Le débat devient alors une sardane. Actuellement 50 sardanes dans le dépôt sur des thèmes variés. Les participants au dépôt peuvent ajouter leurs textes dans les sardanes au fil du. temps selon leur envie.


Pierre Lamarque



Débat 1 : Critique des Textes - Forme et fond - Esthétique et éthique - le débat est présenté ici sous la forme de dialogues



-- Pi - Mon approche est intuitive et empirique - en distinguant deux critères, 1) la qualité - technique des textes , esthétique et 2) les valeurs - valeurs véhiculées par le texte, éthique …


-- Ma - La question éthique est, pour moi, une non question.


-- Pi- La mode est de ne pas juger, de ne pas être "dans le jugement", surtout pas… parler de valeurs dérange au point de se sentir hors jeu si on ose en parler quand on émet un jugement critique… Mais c’est faire fi du réel, faire fi de la dimension psychologique si importante dans le jugement critique… nous jugeons sans arrêt et c‘est pour moi tout à fait normal… Le jugement est l’instrument de la raison mais aussi l’instrument du sentiment.


Juger n’est pas préjuger, juger c’est s’engager à réfléchir avant de porter un jugement. Quand il s’agit de juger un texte il s’agit pour moi de 1) juger de la qualité propre au texte comme son originalité, sa composition, son esthétique  2) juger des valeurs qui sont véhiculées dans le texte - pour juger des valeurs d’un texte il faut savoir exercer son sentiment. Exercer son sentiment sur les émotions que contient et transmet le texte.


L’esprit critique s’exerce donc sur la forme-fond du texte, cet ensemble indissociable qui pourtant mérite une analyse de ses composants, la forme, le fond. Au fond du texte, au fond des mots, du plus profond des yeux au plus profond des oreilles, l'émotion provoquée par le texte. L'émotion.





"La plupart des hommes ont appris à lire pour obéir à une misérable commodité, comme ils ont appris à chiffrer en vue de tenir des comptes et ne pas être trompés en affaire ; mais pour ce qui est de la lecture, en tant que noble exercice intellectuel, ils ne savent guère, sinon rien ; cependant cela seul est lecture, au sens élevé du mot, non pas ce qui nous berce comme calcul, luxure, et souffre que dorment ce faisant les facultés nobles, mais ce qu'il faut se tenir sur la pointe des pieds pour lire en y consacrant nos moments les plus dispos et les plus lucides. "


Thoreau



-- Co - Donc, c 'est une chose l'éthique des écrivains, comme citoyens et une autre chose l'éthique dans l'art , dans les œuvres d'art… L'Histoire de tout cela est longue et je me résume à quelques repères. L'idée que l'art ne doit servir ni à l'éthique ni a rien (l'art pour l'art) à l'origine dans le XIX siècle, en commencement avec Victor Cousin, popularisé par Th. Gautier (Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien.) et a donc une longue tradition. D'après ça l'art est dépourvu de toute responsabilité . Au contraire, les régimes patriarcaux ou totalitaires ont demandé aux artistes d'être engagés, d'être soumis aux idéaux de… etc. Comme aujourd'hui les wokes, les cancel culture etc. Sous le communisme c'était un blasphème d'adopter l'idée de l'art pour l'art… L'art était pour le… peuple, n'est ce pas? H.I…. Mais dérober l'art de la responsabilité…

Le cas éclairant, pour cette dichotomie reste celui de Céline. Antisémite, pronazi etc - mais… très bon écrivain… L'art n'a pas besoin de l'éthique de celui qui écrit, dit-on. L'art n'a rien à faire avec l'éthique de celui qui l'a écrit, l'art n'a rien à faire avec l'éthique. 

Mais ce raisonnement reste très simpliste - aussi simpliste que faire de l'art l'instrument d'une propagande. C'est sûr, il ne faut pas un instrument de propagande de conseils éthiques etc. Mais l'écriture a en elle-même une éthique. On a des œuvres qui ne sont faites que pour amuser, favoriser une vie facile. Pas d'éthique, au moins visible, là. Mais il y a un art qui a explicitement une éthique - une éthique intrinsèque. Et je ne parle pas de Tolstoï (ses jugements moraux peuvent être décelés) mais une éthique de Kafka, de Joyce etc. C'est l'éthique du travailleur écrivain: il faut tout faire pour que le talent propre se manifeste pleinement - l'originalité, la subtilité, le courage de dire etc. John Gardner voulait revenir à Tolstoï. Pas besoin. L'éthique de l'écrivain ne devient pas un slogan, mais existe en bas-fond, sous le texte. L'écrivain lutte contre les conventions - mais il vit dans une société qui fonctionne d'après des conventions et , même s'il prétend que ne tient pas compte de l'éthique, il nage dans un océan éthique. Même s'il veut être contre son temps, il a besoin de sentir d'abord l'éthique de son temps - pour être contre elle. Et comme ça son geste est… éthique. Il peut n'être qu'un saltimbanque, pour amuser, seulement comme ça, il ne tient pas compte de l'éthique commune. Ou il peut dire oui aux crimes, pour discriminer les gens - et ce n'est pas une liberté artistique, mais une liberté contre la société, il fait l'apologie ou la critique de ce que la société a accepté pour pouvoir fonctionner… Il devient comme ça antisocial - non pas parce qu' il a un nouveau langage artistique, un nouvel univers artistique - mais parce qu' il est contre les croyances de la société…


Bon, les choses sont plus compliquées, je t'ai seulement dit ce que je pense sur ça aujourd'hui… L'écrivain doit aussi être responsable - ou plus responsable que les autres… Pas une éthique de pancartes - mais une éthique de la responsabilité - s'il veut être un intellectuel - autrement… Mais existent aussi des écrivains qui ne sont pas des intellectuels…



-- Ma - Effectivement, je crois que la question "éthique" en littérature doit se poser le moins possible. 

Évidemment, si un texte incite à la haine, il doit être proscrit. 

Mais, en dehors de cette idée, je crois vraiment que la littérature peut s'approprier tous les sujets. Au lecteur et à la critique de trier le grain de l'ivraie : je crois que la littérature peut se passer d'éthique mais qu'elle ne peut tomber dans la provocation facile, ce qui est parfois son défaut je crois. La provocation facile je veux dire. Il me semble que Houellebecq par exemple tombe parfois là-dedans. Calaferte ou Radiguet jamais.