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FRAGMENTS DES TEMPS D'APHASIE [Poèmes - 2011]
murs. murs de terre. la nuit comme une vague.
immense.
des lampadaires gris. une cohorte pétrifiée.
un labyrinthe d'arbres. formes sèches, décharnées.
le vide en toi. intense. se durcissant. tissé entre les mots.
bunker. fenêtres murées.
l'impossible jointure des temps.
la plaine explosée.
puits. trous d'eau. masse noire des cieux.
l'orbe brûlante. les contours nets de l'usine
telle une momie d'acier
martelant les zones de clarté.
endormis, fœtus pâles à même la bouche,
infimes structures bio-linguistiques, machines,
rêves décomposés, flux des souffles s'éteignant,
champignons, forêts de mots, tout ça germant, gémissant,
au fond du pourrissoir de la bouche-cerveau – cette trame
des douleurs, éclairs de sang, naissance entre tes
cuisses, toi, moi, ce qui se tord, os brisés, ramper, toujours,
nos têtes vides dans l'air des morts, à vifs, écorchés, cherchant
la surface, la peau, espérant la douceur de ce qui ne peut être
sacrifié, le silence et ses odeurs,
ô fleur facile, le cœur ouvert,
un chant peut-être
petits yeux
boutons noirs
marguerites minées
lambeaux
bandelettes
tête de limbes
tout ce qui est décousu
déchiré
comme
la langue dans la bouche
un jour peut-être
refaite à neuf
des lignes vibratoires
un autre paysage
pauvre rongeur
recollé à l'os
ce cercueil
plombé :
cocon d'argent
pour la vierge asymétrique.
visages des lombrics
pâles humains
lovés dans les
urnes nucléaires.
viendra l'oubli
les poussières
du chant
en équilibre.
le fil
de la nuit rouge.
le port, les bombes
ce fracas de lumières
mélangé à tes os
digue
bouches ensablées
le crâne du vautour
dans son berceau de vase.
là où la terre tremble
dans le sel
le feu
en moi
s'assemblent les nuits
vrilles vierges
dépeçant ton lent paysage
orques sur le rivage
lèvres en sang
lune batracienne.
tortue des îles grises
crânes pelés.
lune de torture -
des bouches gelées
sur ma peau.
entre les rides
court le hanneton
cercueil de boue sèche /
demeure des ânes.
je suis au fond du piège
étranglé - muet
grignotant mon cancer
aimer ta nuit
l'oxygène de ton corps
ton sexe dévorant ma bouche et cette
gymnastique de la boue
de la vie en béquilles.
là où il y a des lacs
des serpents
entre les herbes
la vie morose
les calmes souterrains
et la peur dans la gorge -
bouches sans dents
vieille innocence.
sur ces terres se brisent nos pas
et
sous
nos têtes indolentes
ces meutes
de
vertèbres. dans les langues d'ivoire
à nue se dit déjà
notre fin
acrobate lissant ta lumière noire
agile sous la lampe
surplombant la mer des pantins
des faces troubles – ce cortège funeste et vain
cherchant encore une sortie dans l'impassible dédale...
enfer
d'un lent miroir – comme une sonde dans ce drame désert
ta peau d'ombre –
seule
mesure pour la bouche-lézard
dans cette fièvre
où la fleur du mort se déploie
viendra ma rédemption,
infirme
et
douceâtre
entre tes cuisses
marécages. nuit.
nappe verte. langueur des nénuphars.
entre les hauts arbres
ce ciel : disons un radiateur éteint.
les dieux batraciens
sèment leurs baisers de sang froid
une douceur morose
ou une grise panique
lorsque le soir descend.
ici –
une lumière voilée, un
fragment de gel
les racines de ton ombre
amarrées
à mon corps,
fragments d'os
ces mares sans ciel
ce champ de ruines
napalm
les routes brûlées
la ville déserte, sans un grain de lumière
ta bouche en poussière
l'amputée dort
tenant entre ses mains
le moignon à vif
la douleur brûlante
immobile
telle une cigarette se consumant seule.
ma tête de rat
mes côtes cassées
la terre vierge
et noire
ces rideaux paradant
à la façon des linceuls.
ne reste de ton corps
qu'une vaine cérémonie
aime le ver de terre
crucifié
en silence
une rose dans l'eau
décombres.
marécages. bruissements.
le macadam
fêlé comme porcelaine.
des insectes brisés.
leur fines armures
séchant au soleil.
ouvertes, suintantes.
des fourmis grouillent déjà.
sur le bitume
le brouillard du matin
souvenir de feuilles de menthe fraîche.
des fougères rongent les fenêtres.
une troupe de corbeaux
comme un cirque monotone
stagne dans une carcasse de voiture -
délestée de ses roues, de ses vitres,
rouillant dans la dureté des herbes.
les murs n'ont plus de saison.
plus d'assise.
des assiettes s'éternisent sur les toits.
pas de frontières. un rivage de nuit.
le monde sans rebords.
le hiboux
malencontreux
me dévisage
une dernière fois.
dans l'ombre
je l'ai enveloppé
frère des mulots
ainsi parlait le suaire humain.
museau de la bête.
en moi
l'aveugle danseur
dont le linge maladif
éponge nos nuits
à la lisière
de la forêt
là où tu demeures
sur le fil des limbes
ces têtes humaines,
Ussmell.
l'écorce-autel
de la maman-momie -
tête de petit dur
d'écorché gris-monde
crissant parfois,
avec au-dessus une planète de fer.
marcher avec les voix de la sœur
agneau ou semeuse de sang
au dedans elle
et ses essaims pour le feu
imagine
qu'au matin
la ville
ne soit que vrilles et poussière.
la fente limpide
où dort le cœur.
en t'aimant
comme en silence
vint la douleur.
cils.
poussière.
souplesse de la joie.
tête vierge des cendres
où surnagent de calmes songes
comme
suivre de tes vertèbres la ligne d'ombre
et telle une corde solide m'y suspendre