Le dépôt
DANS LA LUMIÈRE DÉSERTE [poème]
tu aimas la désolation du couteau ouvrant à nouveau la plaie des jours les murs dans la lumière froide imitant ton pur sommeil visages boueux frères maigrichons courant après les bêtes le linge les briques rouges dans ces lentes fumées je recueillis ton âme blême les racines crevant ton cœur ce froid amour dans ton rêve noir de sang la voix sucrée de la jeune folle ce goût d'ail sur la langue la pluie au réveil martelant la vitre ta bouche lunaire l'heure naine une hernie nuageuse au dessus de nos têtes ces fantômes des cieux d'été se reflétant sur les eaux grisées du canal le moulin blanc le pommier ressemblant à un maigre rêve les herbes mortes où dorment des lapins obèses dans ta tête les carcasses mutilées des veaux reviennent les ronces d'enfance nos mains comme des cartilages de soleil tes doigts devenus secs de pauvres nœuds de chair et d'os
ce goût de nuit épaisse et morose comme un vin âpre l'écorce la terre sèche au fond de la bouche ne sentir que tes hanches le visage ligneux du demi fou écorce rongée ou mauvais bois son regard éteint à l'image d'une vieille cigarette la voix comme écorchée mains jointes parfois priant pour sa vieille mère il aimait ces longs après-midi ressemblant à de la dentelle blanche les miettes de pain sur les lèvres le thé brûlant il y a les pierres dans la boue il bute ricane jaune le temps n'a pas effacé la grimace d'enfance gravée sur ce vieux linge de peau des chiens noirs le suivent ici et là il explore les terrains vagues se mire dans les flaques à la manière d'un gorille le vent brûle sa maigre barbe d'homme-insecte il est dis-tu comme ce chiffon sur le trottoir des réverbères grésillent dans le crachin du soir
cargaison de nuit la suie solaire le linge la chair le quai éclos dans l'ombre la nuque brisée des réverbères l'odeur de vase les digues nues les vieux chevaux menés à l'abattoir dans la nuit de ta bouche une fleur de terre le pin noir abattu comme tes os amour une lune crevée sur les dunes ces frères perdus dans l'aube minérale un chant de deuil l'eau grise la paume sèche l'herbe amère seule stèle
dans l'arrondi de tes bras amour le gouffre noir d'un baiser comme un cri d'animal étouffé rouille solaire l'épaule brisée la table le chat l'abeille la chambre aux momies la forêt où tu partis dormir seule livrée à ces lémures d'automne
goûtons ami cet alcool boueux un rasoir ce sang sur les paupières ce grain d'os un cafard sommeillait sur le dos de ta main tu sentais venir l'orage gris la craie se désagrégeant dans mon verre le vent avait cette pesanteur du sang la lumière dense et brève ton souffle lacéré comme un rêve de bête les draps dans la lumière pétris par ce vent venu de l'estuaire un lent silence effaçant les corps
ce goût de savon de l'air ce vase ébréché un peu de lumière sur nos épaules ces ficelles où sont pendues des poupées de chiffon la carapace d'un songe les pages jaunies de ton journal à l'image de ces ruelles tissées d'ombres vides menant vers la blancheur de la mer
l'île dans la boue les rêves exsangues des enfants cette brûlure de la peur la lune momie les palissades dans la brume les araignées dans les bouteilles l'alcool de nuit ainsi tu te noyais dans l'air imitant l'insecte muré dans une flaque de sang tu te souviens de cet après-midi là ta robe sentait l'été comme un lointain souvenir il y avait dans la maison ces vieilles lampes ce monde désolé notre enfance consumée notre chair mangée de rides puis les chemins poussiéreux les cheminés d'usines l'image de ces maisons décrépites perdues dans les marais le lièvre mort sur le bord de la mare les restes d'un feu la taupe dans son linceul de terre dors amour
la baleine immense empaillée dans cette étrange roulotte ces bleus sur ta peau la pluie légère et chaude une pierre blanche sous ta semelle dans ce cercueil des âmes notre ville au bord du monde ce dénuement des heures reste une pieuvre blanchie
les chevaux traversant la ville vide à l'image d'une vieille bouteille dans cette nudité froide de l'aube l'idiot écoutant battre ton coeur le père pensait être l'ami des oiseaux dans ce grenier où le rêve fleurissait tu pensais au croque-mort aux jeunes filles à la servante comme à une araignée mutilée le livre demeurait malgré ce temps de boue et de mauvais rêves puis tout fut consumé
le sommeil les herbes enfantines dans la rue boueuse et sombre marcher être au milieu des chiens aboyer puis rester seul là où la terre brûle d'ennui
te retrouver amour dans ce sommeil de lagune sur ce lit de galets les côtes brisées des herbes amères remuaient en moi il y avait ce sang sur ma nuque aucun soleil pour nos nuits