Le dépôt
FITZLIBUZLI OU LE MONDE-LAPIN [Poèmes - 2011]
tête de lapin
sur fond noir.
dans cet étonnant miroir
où le pelage devient peau.
la face profilée, dentue –
un étrange fruit ou un élégant visage.
des yeux ronds
comme fous,
ruinés par la lumière grise.
sous le ciel psychotique
des têtes lunaires – paraissant modelées, vainement, par la clinique des vents.
bouches-cratères, cils bordant la mer, pantins unijambistes.
le parc se remplit d'ombres.
le fou à la fenêtre – les autres fous aux autres fenêtres.
dans l'herbe les oreilles, gratteurs de terre,
grignoteurs de saveurs astrales – pissenlits, racines,
poussières d'os antiques...
il faut bien manger – pense le lapin-penseur.
à la télé pour fous la séquence des lapins.
le clou de la soirée.
dans le salon de carton-pâte des lapins bourgeois louent,
le museau dans le verre,
leur
décorateur - un certain Dr. d.lyn – ch (peu de rides/un œil rieur – d'après les récits).
dans le monde-lapin on dort un peu n'importe quand.
le jour de préférence
car le soleil est trop vif.
on préfère la fadeur lunaire.
on s'assoie dans l'herbe. on médite devant la lente chute – c'est-à-dire l'étirement indéfiniment
indéfini – d'une goutte de rosée, comme s'il s'agissait de la fin d'une planète.
partout on dissimule de petits tas de terre. des leurres. il en faut.
le quotidien. les taupes. les terriers. les arbres. la rudesse caressante des écorces.
(le lapin-penseur appelle ça la quotidienneté – ça a une essence – personne ne sait pourquoi).
reste
la peur du sang. et le peuple des fous.
régulièrement
le lapin mange-miroir
creuse la terre des champs.
sa bouche : entailles, lèvres couturées, boursouflures ;
paupières cousues.
son chant de lune attire les lombrics.
dans la terre naît
un fol espoir.
tandis que l'ascète mange-miroir
ne rêve que d'une chose :
dégoter un de ces éclats luminescent
et nager dans son eau morte -
s'y repaître, brasser les flots de sa propre image
et si ça ne marche pas, le concasser, l'avaler,
en faire une poudre, afin que les jeux de reflets à l'infini
puissent de déployer dans son antre viscérale – le ventre noir qui lui apparaît dans ses rêves :
l'intérieur (on appelle ça l'intérieur, chez ceux-qui-pensent).
le lapin mange-miroir dit :
les mots sont des miroirs
car le mot se répète dans la tête
dans le crâne-lapin
les images glissent à la surface de l'os.
le lapin dit encore :
c'est une bouche morte !
les fous approuvent.
le miroir les attend
dans le parc.
souvent
dans le parc
il y a un conciliabule
de lapins
(quelques fous sont autorisés à les accompagner).
c'est toujours un moment de symbiose, d'intimité cérémonielle.
frottements de museaux dans la brume, exercices télépathiques,
jeux de rebonds et d'équilibres, moments de pur silence...
pourtant, ce jour, cette nuit, la peur gagne leurs têtes
comme l'inondation dévorant les terres :
les fous déménagent ! on va construire un supermarché !
de belles enseignes bleues et rouges clignoteront dans la campagne !
plus personne ne saura qui sont vraiment les lapins.