Le dépôt
PARAGES [poème]
ville germée nue dans le matériau
d'une interminable pluie
communauté d'os et de murs
crânes d'hominiens chiens aux yeux humides
écrasés sous les pneus aveugles
sur le monumental rond-point
île entourée d'air solide
de tracassantes rumeurs huileuses
l'acier les résines bitume tournoyant
des clochards entre les herbes
sous les arbres de fer
rivés à eux une frêle bande de chiens timides
et souffreteux jaunâtre empire
visages ridés des hommes
perdus dans leurs soupe
une odeur de cigarette au maïs
gamelles, rouille
les os les dents les enflures de la mâchoire
ciel de conserves, momies urbaines
tête de béton - crève, dit un graffiti
comme la grêle l'imminence du jour
au dessus, plus au nord,
perchées sur leur colline bitumeuse :
tours blanches et bleues
rayée comme un ciel d'hiver
linge aux balcons
antennes scrutant d'autres rumeurs
sous les reins mûrs des nuages
derrière une vitre que mollement le ciel enfarine
crachotant, un petit vieux tête blanche
en scrute un autre mains et visage emmaillotés de rides
deux cannes en ferraille un chien traînant son amicale carcasse
vers un parking un trou d'ombre près du jour
rugissement d'orage polaire une moto une femme sur un banc
teint pâle longues jambes se transformant en fines araignées
mégots dénudés pelouse sans queue ni tête buvant mille déjections
une corneille morte la tête sur le gravier œil ouvert
comme la bouche d'un garçon criant
jour où vient l'asphalte fondu par endroits
ramolli presque l'été on y croît
sous le soleil dur aujourd'hui ciel de traîne
eau de lessive dans l'air
la petite vieille rabougrie
dans sa robe fanée bleutée
ex infirmière de nuit insomniaque
rose absurde penchée elle aussi
à sa fenêtre prendre l'air, oui
des yeux transparents
qui regardent au hasard
des mômes courant se précipitant sur des grilles
tels des oiseaux affolés par le passage d'une voiture
réverbères balançoires pour sauterelles fragmentées
terrains vagues aussi
herbes psychotropes de ce vert sans suite
immeubles démolis
châteaux de cartes basculants dans le vide enfant
brûle un mastodonte réfrigéré
flaques d'huiles dunes compactes
ils chassent des chats
à coup de pierres
de fusils à air comprimé
un caddy roulettes en l'air
où nichent de jeunes sourds
rumeur grise dans les yeux
pas d'horizon les tours ont des vies de macro-champignons
la bretelle d'autoroute vomissant son flux ses chocs
sous le pont voie ferrée grincement de wagons
l'odeur du métal chauffé un bus au corps canin
suit une pente trop sinueuse
pavillons désossés
la plaine, remugle de baiser industriel
crache ces restes de visages
corps usinés la bave comme ciel
l'escargot nucléaire
dévorant ses rimes - son intime fêlure
portée de souris dormant dans l'hébétude
soleil ça rouille ou d'un repli de désert
sel fleurs rouges écaillées l'œil brûlant de ce nuage
chargé d'oiseaux toxiques
crame tes poumons
le moindre songe
devient décharge et plaie
rongeurs frères noyés
quelques cloportes
ventres en l'air
tête au formol
reste le froid