Le dépôt
Poèmes extraits de Dérives
Regardez. Je marche. Instinctivement. Vers la passerelle je marche. Traverse la nuit. Instinctivement. Je marche sous les lampadaires lactescents. Je longe les quatre voies du périphérique. Caresse le froid du rail de sécurité. Sous mes pas les herbes folles carbonisées fléchissent. Sous mes pas le chiendent calciné cède. Camions voitures vont viennent. Carcasses métalliques vrombissantes. Vont viennent. Me frôlent. Vont viennent. Boyaux de lumière lacérant la nuit noire. Déplaçant transportant des lots de corps marchandises vers du sommeil cellophané sous vide. Je marche vite comme eux se propulsent vers leurs lits dépôts. Je marche vite comme eux se jettent sous leurs draps synthétiques pour fuir la vie jetable. Je marche.
- Maman
Que fais-tu là immobile
dans ce wagon bondé ?
Que fais-tu là nue
sous la lumière crue des néons oxydés ?
Que ne me dis tu ?
Que ne me demandes tu ?
Je ne t’entends pas.
Je ne te comprends pas.
Tu ne peux pas être là.
Ici les morts ont les chaussures propres.
Ici les tombes sont des salons de coiffure.
Le monsieur le ministre nous a déclaré perdant. La force du pain n’est pas celle du président. Les mouches s’ennuient sur le pavé mouillé. Dehors les femmes mariées ont le ventre dur. J’ai de la colle dans mon sac en plastique,
ma tête en gyrophare sur les portes blindées. Lourde est la roche que je porte au sommet.
Je ne pas suis un Sisyphe,
je peine à remonter.
Maman tu dois t’en aller.
Me laisser sombrer.
Ma vie de citadin pue comme une pissotière. Les fleuves ont des vertus
quand ils font des rivières.
Pourquoi ne me parles tu pas de papa ?
Il est mort je sais.
Je l’ai senti quand il est parti.
Va-t-il retrouver la parole
avec de la terre dans la gueule ?
Et toi si nue sous cette lumière crue,
que ne me demandes-tu ?
- Je suis morte.
- Que ne me dis tu ?
- Je suis morte.
- Ce n’est pas possible je le saurais.
- C’est la terre qui m’a tué mon fils.
- Que ne me dis-tu maman ?
Une chanson de Pénélope
Sous le givre blanc
les vieilles chrysanthèmes veillent sur les tombes.
Matin de grisaille
des photos de mes parents sous deux roses sèches.
Dans la cuisine vide la lumière du néon éclaire un cafard.
Dispersion du temps
au grenier des araignées l’horloge résonne.
Dans mon lit glacé
à la nuit j’abandonne mes noires pensées.
Le ciel s’ouvre à l’est un œil par la fenêtre le rideau me cache.
Rue du Temps Perdu dans un éclat de lumière ton corps s’efface.
Graines essaimées je cultive la patience dans la terre chaude.
Rosée matinale
le café brûle ma langue je ne pense qu’à toi.
Près du cimetière
nous marchons sans un mot j’attrape ta main.
La nuit infinie
couvre nos épaules unies d’un voile léger.
À l’approche de l’été sur mon sein moelleux une libellule.
Couchés sous le saule ton doigt sur mes lèvres je rêve alanguie.
Dans les herbes folles
tu lèches ma peau de pêche un chat nous regarde.
Orage en approche
un oiseau ferme nos yeux ta main sur ma joue.
Nos heures suspendues
le mouvement des saisons ne nous atteint pas.
Mon bel adoré
sur les os du vieux monde j’ai chaud je t’aime.