Le dépôt
VENANT D'UN PAYS OBSCUR [poèmes]
Spilliaert au bord
du rêve sombre des eaux
comme à la lisière du crâne
fut ce jeune peintre
malaxant des âmes le sable noir
la nuit dans son atelier
il dessinait peignait
retissant la ville nue le lent désert du sang ––
la jetée d'Ostende devint le contour d'une assiette oubliée
quelques silhouettes
brisaient la lumière –– ses larmes noires ne furent jamais recueillies
le ciel ressemblait
à une blessure au couteau ––
au matin
il suivait du regard
la dérive d'un pigeon mort
la transparence lointaine d'un navire ––
comme un triangle au bord du visible
le vent
brûlait
les oiseaux de mer
la migraine martelait ses tempes
Jonas tremble sur le rivage
les pommiers ont pourri
amour
les mares sont couvertes de feuilles
les mères restent ici bas
leurs faces creuses
pleurant
dans des lits aux draps gris
l'alaise à peine souillée
leurs mains déformées, abandonnées
aux vivants
leurs bras consumés par la lente mort
un verre oublié sur la table de chevet
une fleur séchée
l’œil immense et gris lait bleu
entre l'ardoise et l'herbe
fixant ces dentelles les machines rouillées
le linge est dur coupant
dans l'amertume des roses
le vent dépose ses essaims
sur la pente du coteau
où dort un chat au pied du chêne vert
les mugissements les fumées
sentant le lard comme heurtant le ciel de fonte
leur haleine broyant l'hiver
l'araignée blottie dans ces laines sombres
mains rugueuses contre un mur l'hiver
des pissenlits que lacère le gel
de vieilles mottes
cierges éteints aux premières lueurs
ronronne cuivré et doux le chat dans la paille
encore coupante vierges grises calvaires
l'humeur noire des fougères tout le jour l'herbe les fêtes fantômes
il n'y eut bientôt plus que ce sommeil rassis
pour celui qui fut nommé Langlois
ne pouvant fuir les grumeaux noirs
l'hiver des bêtes
l'abîme triste du sang
la neige est devenue brûlante
les arbres bricolés comme des cercueils
le loup pris l'image du frère
l'homme devint le servant d'un blanc labyrinthe
l'amante le perdit
dans la brume épaisse
demeure l'abreuvoir
où gît l'image enténébrée d'un cheval
tu observes
le vol lacté patient sauvage
de quelques cygnes ––
la neige n'est plus qu'un songe –– reste
une bouteille grise ––
l'homme
à sa fenêtre
sent monter vers lui l'odeur âcre du goudron ––
des travaux ont lieu sur la route –– on entend
tout le jour le bourdonnement des moteurs ––
avec amertume
il goûte le vide des heures le ciel austère ––
son cœur chancèle –– les ongles de ses doigts
grattent le bois de la table –– son visage
légèrement fripé (assez terne, disait sa compagne)
un long moment
demeure
pris dans un tremblement de lumière –– mêlé
de fumée de cigarette ––
puis il
se tourne vers l'étendue marine –– il perçoit
distinctement
les modulations d'une voix
qui bientôt
se métamorphosent en une longue plainte :
il s'étonne –– sourit presque
sans savoir pourquoi ––
de longues minutes
son œil cherche
scrute la lumière l'espace ––
finalement
il ne sourit plus ––
s'apercevant
qu'il s'agit
du gémissement d'un chien ––
il sait ce que cela veut dire
pour lui ––
lentement il se met en route
vers l'animal
en train de mourir
sur la plage
le silence la lenteur des larmes
les pantins amorphes
la boue les rideaux la cafetière en fer blanc
le chemin des nuits
une peluche élimée
les flaques reflets d'un ciel éteint
de vagues lueurs derrières les vitres
ces trouées boueuses entre lesquelles serpentent les vaches
certaines s'embourbent meuglent jusqu'à la nuit
tes yeux sont secs
les larmes ont séché mains sales lèvres écorchées
un taillis de ronces
une façade blanche dans la nuit les mares croassantes
les ajoncs se courbant sous le vent
le drap des morts
ses cheveux dénoués un voile oscillant dans la lumière
longue main blanche
le chien flottant presque un instant sur la terre noire marécageuse
jeunes veaux égorgés
tête nue attendant l'aurore des feux dans le lointain
l'arbre calciné les corvidés voraces
entrailles grises du chat
l'odeur d'une vieille solitude
un miroir en morceaux dans la baignoire
un rasoir les veines endormies sous la peau
branchages écorchés
une taupe dans une mare de sang
le ciel de velours gris froissé élimé
la pluie sa lumière trouble
une blessure comme un vieux fruit sale du gravier de la terre
tout ce qui s'est perdu
la jardin oublié retourné à l'état sauvage
les fragments de ferraille rouillée
saccages tout autour
les champs pareils à des visages grêlés
de vieilles roses mêlées à la boue
ses yeux couleur cendre
ses petites mains fraîches
la fin du jour
se blottir contre la peluche muette
le sol défraîchi les touffes d'herbes malingres
mains nouées dormir ensemble
la pluie martelant l'étendue d'eau stagnante
de pâles araignées
ce désert infini du ciel
des voix noyées
l'épaisseur des nuits
les visages blêmes blafards alcooliques
un sommeil minéral
l'air le vent le mouvement fluide des peupliers
un lit blanc
des têtes où brûlent des rêves
comme de vieux chiffons
les pylônes les étoiles humides
les ruelles tordues à la manière de vertèbres malades
la boue où sont étendues les juments mortes
l'encre blême des vitres
un visage de femme mêlé au paysage
le lait noir de l’œil
ce linge étendu sur un fil et que le vent boursoufle
des plaies cicatrices douleurs de mauvais rêves d'après midi
des tasses fêlées
l'herbe jaune
un hérisson mort à demi écrasé sur la chaussée érodée
un chemin d'oubli
le souvenir des interminables nuits brumeuses
le cheval la ville les rues mortes
le pelage sanglant des bêtes
l'abreuvoir les pierres couvertes de mousse
une nappe de corbeaux se posant rythmiquement sur un champ jaune vert délavé
les têtes déjà pourries des chevaux dans la boue
le ciel noir ces plaies encore sur la peau
la souris dans un bocal la lune rouillée
les bâtisses en ruines la ferraille cousue d'herbes de ronces
ce rêve gris l'âme trouble malsaine comme de l'eau croupie
ton visage