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AUTEUR-E-S - Index I

6 - Jean-Michel Maubert

VENANT D'UN PAYS OBSCUR [poèmes]

Spilliaert au bord

du rêve sombre des eaux

comme à la lisière du crâne

fut ce jeune peintre

malaxant des âmes le sable noir


la nuit dans son atelier

il dessinait peignait

retissant la ville nue le lent désert du sang ––

la jetée d'Ostende devint le contour d'une assiette oubliée


quelques silhouettes

brisaient la lumière –– ses larmes noires ne furent jamais recueillies

le ciel ressemblait

à une blessure au couteau ––


au matin

il suivait du regard

la dérive d'un pigeon mort

la transparence lointaine d'un navire ––

comme un triangle au bord du visible


le vent

brûlait

les oiseaux de mer

la migraine martelait ses tempes







Jonas tremble sur le rivage

les pommiers ont pourri

amour

les mares sont couvertes de feuilles

les mères restent ici bas

leurs faces creuses

pleurant

dans des lits aux draps gris

l'alaise à peine souillée

leurs mains déformées, abandonnées

aux vivants

leurs bras consumés par la lente mort

un verre oublié sur la table de chevet

une fleur séchée







l’œil immense et gris lait bleu

entre l'ardoise et l'herbe

fixant ces dentelles les machines rouillées

le linge est dur coupant

dans l'amertume des roses

le vent dépose ses essaims

sur la pente du coteau

où dort un chat au pied du chêne vert

les mugissements les fumées

sentant le lard comme heurtant le ciel de fonte

leur haleine broyant l'hiver

l'araignée blottie dans ces laines sombres

mains rugueuses contre un mur l'hiver

des pissenlits que lacère le gel

de vieilles mottes

cierges éteints aux premières lueurs

ronronne cuivré et doux le chat dans la paille

encore coupante vierges grises calvaires

l'humeur noire des fougères tout le jour l'herbe les fêtes fantômes








il n'y eut bientôt plus que ce sommeil rassis

pour celui qui fut nommé Langlois

ne pouvant fuir les grumeaux noirs

l'hiver des bêtes

l'abîme triste du sang

la neige est devenue brûlante

les arbres bricolés comme des cercueils

le loup pris l'image du frère

l'homme devint le servant d'un blanc labyrinthe

l'amante le perdit

dans la brume épaisse

demeure l'abreuvoir

où gît l'image enténébrée d'un cheval







tu observes

le vol lacté patient sauvage

de quelques cygnes ––

la neige n'est plus qu'un songe –– reste

une bouteille grise ––

l'homme

à sa fenêtre

sent monter vers lui l'odeur âcre du goudron ––

des travaux ont lieu sur la route –– on entend

tout le jour le bourdonnement des moteurs ––

avec amertume

il goûte le vide des heures le ciel austère ––

son cœur chancèle –– les ongles de ses doigts

grattent le bois de la table –– son visage

légèrement fripé (assez terne, disait sa compagne)

un long moment

demeure

pris dans un tremblement de lumière –– mêlé

de fumée de cigarette ––

puis il

se tourne vers l'étendue marine –– il perçoit

distinctement

les modulations d'une voix

qui bientôt

se métamorphosent en une longue plainte :

il s'étonne –– sourit presque

sans savoir pourquoi ––

de longues minutes

son œil cherche

scrute la lumière l'espace ––

finalement

il ne sourit plus ––

s'apercevant

qu'il s'agit

du gémissement d'un chien ––

il sait ce que cela veut dire

pour lui ––

lentement il se met en route

vers l'animal

en train de mourir

sur la plage






le silence la lenteur des larmes

les pantins amorphes

la boue les rideaux la cafetière en fer blanc

le chemin des nuits

une peluche élimée

les flaques reflets d'un ciel éteint

de vagues lueurs derrières les vitres

ces trouées boueuses entre lesquelles serpentent les vaches

certaines s'embourbent meuglent jusqu'à la nuit

tes yeux sont secs

les larmes ont séché mains sales lèvres écorchées

un taillis de ronces

une façade blanche dans la nuit les mares croassantes

les ajoncs se courbant sous le vent

le drap des morts

ses cheveux dénoués un voile oscillant dans la lumière

longue main blanche

le chien flottant presque un instant sur la terre noire marécageuse

jeunes veaux égorgés

tête nue attendant l'aurore des feux dans le lointain

l'arbre calciné les corvidés voraces

entrailles grises du chat

l'odeur d'une vieille solitude

un miroir en morceaux dans la baignoire

un rasoir les veines endormies sous la peau

branchages écorchés

une taupe dans une mare de sang

le ciel de velours gris froissé élimé

la pluie sa lumière trouble

une blessure comme un vieux fruit sale du gravier de la terre

tout ce qui s'est perdu

la jardin oublié retourné à l'état sauvage

les fragments de ferraille rouillée

saccages tout autour

les champs pareils à des visages grêlés

de vieilles roses mêlées à la boue

ses yeux couleur cendre

ses petites mains fraîches

la fin du jour

se blottir contre la peluche muette

le sol défraîchi les touffes d'herbes malingres

mains nouées dormir ensemble

la pluie martelant l'étendue d'eau stagnante

de pâles araignées

ce désert infini du ciel

des voix noyées

l'épaisseur des nuits

les visages blêmes blafards alcooliques

un sommeil minéral

l'air le vent le mouvement fluide des peupliers

un lit blanc

des têtes où brûlent des rêves

comme de vieux chiffons

les pylônes les étoiles humides

les ruelles tordues à la manière de vertèbres malades

la boue où sont étendues les juments mortes

l'encre blême des vitres

un visage de femme mêlé au paysage

le lait noir de l’œil

ce linge étendu sur un fil et que le vent boursoufle

des plaies cicatrices douleurs de mauvais rêves d'après midi

des tasses fêlées

l'herbe jaune

un hérisson mort à demi écrasé sur la chaussée érodée

un chemin d'oubli

le souvenir des interminables nuits brumeuses

le cheval la ville les rues mortes

le pelage sanglant des bêtes

l'abreuvoir les pierres couvertes de mousse

une nappe de corbeaux se posant rythmiquement sur un champ jaune vert délavé

les têtes déjà pourries des chevaux dans la boue

le ciel noir ces plaies encore sur la peau

la souris dans un bocal la lune rouillée

les bâtisses en ruines la ferraille cousue d'herbes de ronces

ce rêve gris l'âme trouble malsaine comme de l'eau croupie

ton visage