Le dépôt
Plus deux
Moi
Quand je regarde ces photos de vieux paysans des Balkans au regard dur et sombre, fourrures jetées sur l’épaule, visages hâlés, creusés de rides, démarche droite et comme enveloppée dans la fumée du passé qui s’envole, je m’exclame comme la touriste que je suis devenue : “Quels visages! Et quels beaux manteaux!” Autant dire : exotiques. Et des abîmes du passé qui revient, les visages de mes grands-parents remontent, bruns et secs, pareils à l’écorce sans voix, et je sais qu’ils sont toujours là, en moi, mais comme en retrait, lointains, invraisemblables.
Qui est moi?
Le double de mon double
J’ai, comme tout le monde, un double. Il se promène par les rues, les mains dans les poches, grimaçant aux passants, et quand je m’arrête pour parler à quelqu’un, pour dire bonjour et échanger de petits sourires, il se hisse derrière moi, le visage tendu par la laideur, et se jette au cou de mon interlocuteur, y laissant ses crocs. Puis, il se lèche les babines et le sang s’écoule goutte à goutte dans ses songes.
Mon double est ma négation. Il fait ce que je ne fais pas. Il vit pour moi.
Et si mon double avait son double aussi? Est-ce que son double serait alors moi? Je ne le sais, mais je sais que moi n’est que l’ombre douteuse et invraisemblable de mon double.