Le dépôt
230726 - ENFIN SUWALKI
Notes de voyage
En repartant du gasoil, je rends le salut d'un trisomique du temps de ma mère. Il passe sur un tracteur tondeuse homologué pour la chaussée. Je connais bien l'homme, il est de mon âge. Aux anciens rivages, les solives ont tenu le coup, l'Atlantique ! mais les pierres romanes, les chevrons, sont meulées et le bardage… adieu marais, c'est tout foutu.
La Haute-Vienne, c’est la fin du Poitou, ses défaites et les miennes. Des haies jusque dans le Doubs, il fait bon conduire dans le déni. À Besançon dans les collines, Mathilde nous a enveloppé pour le pique-nique, un saint-nectaire fermier dans du papier exprès. De sources peu fiables, les miliciens de Prigojine sont en Bielorussie, prêt à étrangler l'Europe. La prévenance de Mathilde d'un bout et les salopards de Wagner de l'autre ?
Il faut arriver à Suwalki comme l'enfant du Sahel (de David Attenborough) mène son troupeau au point d'eau, avant les éléphants qui l'assècheront. Aire d'autoroute occupée par des camions endormis, ventres lourds, jusqu'aux derniers mètres de la bretelle d'accès. Dans le cru de la nuit, il est raisonnable de penser que ces hommes terminent de se masturber dans leurs lits-couchettes, banal. Ont-ils acheté des “travel-pussies” dans les distributeurs automatiques des toilettes allemandes ? Cinq-cents bornes avant Suwalki, point de sommeil.
Dans la nasse. C'est plusieurs heures de bouchons entre les murailles puantes du transport routier, la poussière des travaux, la déviation gavagnée. Plus de gasoil ni d'argent, GPS inutile, nous sommes perdus et je panique, les gros mots expliqués à mon co-pilote de six ans et demi, le finish à la boussole sur les chemins de terre, on franchit par hasard et c'est la Lituanie. Madara me parle au téléphone, me sauve et m'envoie des sous. Je fais le plein, euphorique. À la frontière Lettonne je me sens chez moi et je chante. J'oublie tout en déchargeant les bouteilles de Pineau à Riga. Il ne s’est pas passé grand-chose au fond.