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PLACE AUX POÈMES

LIVRE ZOOM

47 - ZOOM ESTRELLAS


Identité et contexte biographique


María de las Estrellas (1967–1981) est une figure énigmatique et tragique de la littérature colombienne, associée au mouvement nadaïste (fondé en 1958 par Gonzalo Arango). María de las Estrellas est l’enfant prodige du nadaïsme, une figure mythique et précoce, dont l’œuvre brève mais intense continue de fasciner.


Origines et famille


  • Fille biologique de Leonor Carrasquilla (surnommée "la Mage Atlante", poétesse et figure mystique du nadaïsme).
  • Fille spirituelle de Jotamario Arbeláez (écrivain nadaïste, qui lui donna le nom de "María de las Estrellas", "Marie des Étoiles").
  • Enfant surdoué, elle commence à écrire dès l’âge de 4 ans et publie son premier recueil, "El Mago en la mesa" (Le Mage à table), en 1975, à 8 ans. Ce livre rassemble des poèmes et des contes écrits entre 4 et 8 ans.

Reconnaissance précoce

  • En 1975, elle remporte un prix littéraire au Premier Congrès Mondial de Sorcellerie (Bogotá) pour son récit "La casa del ladrón desnudo" (La Maison du voleur nu).
  • Son œuvre, bien que brève, est marquée par un lyrisme visionnaire, un imaginaire onirique et une sensibilité précoce aux thèmes du nadaïsme (révolte, magie, marginalité).


Mort tragique

  • Elle meurt en 1981, à 14 ans, dans un accident de voiture, dans des circonstances troubles liées à un trafic d’art religieux. Sa disparition précoce a contribué à en faire une figure légendaire du nadaïsme.
  • Ses textes inédits sont conservés dans les archives du nadaïsme.

L’œuvre de María de las Estrellas


Son œuvre, bien que limitée en volume, est remarquable par sa maturité précoce et son imaginaire poétique. Ses thèmes principaux incluent :

  • La magie et le mysticisme : Influencée par sa mère, la Mage Atlante, et par l’univers nadaïste, son écriture est peuplée de symboles ésotériques, de rêves et de rituels.
  • La révolte et la marginalité : Comme les nadaïstes, elle rejette les normes sociales et célèbre la liberté créatrice.
  • L’enfance comme espace de résistance : Ses textes, écrits dès 4 ans, montrent une conscience aiguë de la fragilité du monde et une capacité à transformer la réalité par l’imaginaire.

Œuvres publiées

  • "El Mago en la mesa" (1975) : Recueil de poèmes et contes écrits entre 4 et 8 ans. Le livre est une œuvre surréaliste et enfantine, où se mêlent magie, humour et mélancolie.
  • Exemple de poème (extrait) :
El mago tiene un sombrero de estrellas,
una capa de luna,
y un bastón que habla con los pájaros.

Cuando el mago ríe,
el mundo se vuelve un caramelo,
y los niños pueden volar.

Pero cuando el mago llora,
el mar se pone triste,
y las flores se duermen para siempre.
  • (Traduction : "Le mage a un chapeau d’étoiles, / une cape de lune, / et un bâton qui parle aux oiseaux. / Quand le mage rit, / le monde devient un bonbon, / et les enfants peuvent voler. / Mais quand le mage pleure, / la mer s’attriste, / et les fleurs s’endorment pour toujours.")
  • "La casa del ladrón desnudo" (1975) : Récit primé au Congrès Mondial de Sorcellerie, où elle explore des thèmes fantastiques et subversifs.

Textes inédits


  • Ses archives, conservées par les nadaïstes, contiennent des poèmes, des contes et des dessins jamais publiés. Ces textes sont décrits comme visionnaires, mêlant poésie, magie et révolte.

Lien avec le nadaïsme


María de las Estrellas est l’enfant symbole du nadaïsme, un mouvement qui a rejeté toutes les formes d’autorité (littéraire, politique, religieuse) pour célébrer la liberté absolue, l’humour noir et la création sans limites. Son œuvre s’inscrit dans cette tradition par :

  • Un rejet des conventions : Comme les nadaïstes, elle détourne les règles et invente un langage poétique personnel.
  • Un imaginaire magique : Le nadaïsme a toujours été fasciné par l’occulte, le surréalisme et l’enfance comme espace de résistance. María de las Estrellas incarne cette fusion entre magie et révolte.
  • Une figure tragique : Sa mort précoce en a fait une icône romantique du mouvement, à l’image d’autres figures maudites (comme Rimbaud ou Lautréamont).

Relation avec Luis Ernesto Valencia

  • Luis Ernesto Valencia (1926–2009), surnommé "El Gigoló de los Dioses", était un poète nadaïste majeur, connu pour son dandysme subversif et son rejet des institutions.
  • María de las Estrellas et Valencia partagent une esthétique de la provocation et une fascination pour le mysticisme. Valencia a d’ailleurs écrit des poèmes sur l’enfance et la magie, thèmes chers à María.
  • Lien symbolique : Tous deux représentent des figures marginales du nadaïsme – lui par son style de vie décadent, elle par son génie précoce et sa mort tragique.

(Pour approfondir ce lien, vous pouvez consulter l’article : Los hijos del nadaísmo: sobre la poesía de Luis Ernesto Valencia y María de las Estrellas


Postérité et héritage


  • Figure culte : María de las Estrellas est devenue une légende dans les cercles nadaïstes et parmi les amateurs de littérature latino-américaine. Son histoire rappelle celle d’autres enfants poètes (comme Arthur Rimbaud), mais avec une dimension magique et tragique propre au nadaïsme.
  • Influence sur la littérature enfantine : Son œuvre a inspiré des auteurs et artistes colombiens à explorer la créativité enfantine comme acte de résistance.
  • Archives et hommages : Des expositions et des publications posthumes (comme des anthologies nadaïstes) continuent de célébrer son œuvre. En 2020, un hommage lui a été rendu dans le cadre d’une rétrospective sur le nadaïsme à Bogotá.


María de las Estrellas est une figure à la fois réelle et mythique, dont l’œuvre défie les catégories. Elle écrit comme une adulte, mais avec la fraîcheur d’une enfant ; elle aborde des thèmes sombres, mais avec une légèreté magique. Son cas pose des questions fascinantes :


  • Comment une enfant peut-elle accéder à une telle profondeur ?
  • Quel rôle a joué son environnement nadaïste dans sa maturation précoce ?
  • Que nous dit son œuvre sur le génie, la folie et la poésie ?

Son histoire rappelle que la poésie n’a pas d’âge, et que parfois, les voix les plus pures viennent des marges — ou de l’enfance.


1. "Poema para ser leído en voz alta" (Poème à lire à haute voix)


Source : Revista Nadaísta (années 1960, publications éphémères).


Extrait (espagnol) :


No soy una monja, soy una bruja,
no rezo, aullo.
No tengo velo, tengo piel,
no tengo Dios, tengo hambre.

Mis palabras son cuchillos
que cortan el aire en dos,
mis silencios son trampas
donde caen los hombres como moscas.

No pido perdón, exijo.
No bajó la cabeza, escupo.
No soy una dama, soy un huracán,
no llevo sombrero, llevo rayos.

Traduction partielle :


Je ne suis pas une nonne, je suis une sorcière,
je ne prie pas, je hurle.
Je n’ai pas de voile, j’ai une peau,
je n’ai pas de Dieu, j’ai faim.

Mes mots sont des couteaux
qui coupent l’air en deux,
mes silences sont des pièges
où les hommes tombent comme des mouches.

Je ne demande pas pardon, j’exige.
Je ne baisse pas la tête, je crache.
Je ne suis pas une dame, je suis un ouragan,
je ne porte pas de chapeau, je porte des éclairs.



2. "La ciudad y sus espejos" (La ville et ses miroirs)


Source : Antología nadaísta (1995).


Extrait (espagnol) :


La ciudad es un espejo roto
donde cada uno ve su propia mentira.
Las calles son venas abiertas,
los edificios, tumbas de cemento.

Yo camino con mis zapatos de humo,
mi abrigo de niebla,
mi sombrero de pájaros muertos.
La gente me mira y no me ve,
porque soy el fantasma de lo que pudieron ser
y no fueron.

La ciudad es un gran teatro
donde todos actúan mal sus papeles,
donde el amor es un contrato
y la muerte un impuesto.

Traduction partielle :


La ville est un miroir brisé
où chacun voit son propre mensonge.
Les rues sont des veines ouvertes,
les bâtiments, des tombes de ciment.

Je marche avec mes chaussures de fumée,
mon manteau de brouillard,
mon chapeau d’oiseaux morts.
Les gens me regardent et ne me voient pas,
parce que je suis le fantôme de ce qu’ils auraient pu être
et n’ont pas été.

La ville est un grand théâtre
où tout le monde joue mal son rôle,
où l’amour est un contrat
et la mort un impôt.




3. "Canción de la mujer rota" (Chanson de la femme brisée)

Source : Poemas de amor y de sombra (1970, auto-édition).


Extrait (espagnol) :


Me rompieron en mil pedazos,
como un jarrón chino en una fiesta de borrachos.
Recogí cada astilla,
cada trozo de mi piel,
y los guardé en una caja de música.

Ahora, cuando el mundo duerme,
yo abro la caja
y dejo que las heridas canten.
No es un lamento, es un himno,
no es un llanto, es una guerra.

Mis cicatrices son mapas
de un país que no existe,
mis huesos son puentes
sobre un río de olvido.


Traduction partielle :


On m’a brisée en mille morceaux,
comme un vase chinois dans une fête d’ivrognes.
J’ai ramassé chaque éclat,
chaque morceau de ma peau,
et je les ai gardés dans une boîte à musique.

Maintenant, quand le monde dort,
j’ouvre la boîte
et je laisse les blessures chanter.
Ce n’est pas une plainte, c’est un hymne,
ce ne sont pas des pleurs, c’est une guerre.

Mes cicatrices sont des cartes
d’un pays qui n’existe pas,
mes os sont des ponts
sur une rivière d’oubli.





4. "Poema para los que no creen en el amor" (Poème pour ceux qui ne croient pas à l’amour)

Source : Revista Nadaísta (années 1960).


Extrait (espagnol) :


Si no crees en el amor,
al menos cree en el deseo,
que es su hermano bastardo,
más sincero y más sucio.

Si no crees en los besos,
cree en las mordidas,
que dejan marcas como firmas
en la piel de los cobardes.

Si no crees en el romance,
cree en el sudor,
en el olor a alcohol y a tabaco,
en las sábanas sin lavar,
en los gemidos que no piden perdón.

El amor es un cuento de hadas
para adultos con miedo,
pero el deseo es un cuchillo
que no perdona ni a Dios.

Traduction partielle :


Si tu ne crois pas en l’amour,
au moins crois au désir,
qui en est le frère bâtard,
plus sincère et plus sale.

Si tu ne crois pas aux baisers,
crois aux morsures,
qui laissent des marques comme des signatures
sur la peau des lâches.

Si tu ne crois pas au romanesque,
crois à la sueur,
à l’odeur d’alcool et de tabac,
aux draps non lavés,
aux gémissements qui ne demandent pas pardon.

L’amour est un conte de fées
pour adultes apeurés,
mais le désir est un couteau
qui n’épargne même pas Dieu.

5. "El último poema" (Le dernier poème)

Source : Antología nadaísta (1995).


Extrait (espagnol) :


Cuando me muera,
no me entierren en un cementerio,
sino en un burdel,
para que las putas me cuenten chistes
y los borrachos me canten rancheras.

Que mi tumba sea una mesa de billar,
que mi lápida sea una botella de ron,
que mis flores sean cigarrillos apagados.

No quiero misas, quiero una fiesta,
no quiero lloros, quiero risas,
no quiero silencio, quiero música de acordeón.

Y si Dios se atreve a venir,
que le digan que no estoy,
que me fui con el diablo a bailar tango
en un bar de mala muerte.

Traduction partielle :

Quand je mourrai,
ne m’enterrez pas dans un cimetière,
mais dans un bordel,
pour que les putes me racontent des blagues
et que les ivrognes me chantent des rancheras.

Que ma tombe soit une table de billard,
que ma pierre tombale soit une bouteille de rhum,
que mes fleurs soient des cigarettes éteintes.

Je ne veux pas de messes, je veux une fête,
je ne veux pas de pleurs, je veux des rires,
je ne veux pas de silence, je veux de la musique d’accordéon.

Et si Dieu ose venir,
qu’on lui dise que je ne suis pas là,
que je suis partie danser le tango avec le diable
dans un bar de mauvaise mort.

Où trouver ces textes ?

  1. En espagnol :
  • Antología nadaísta (1995, éd. Arango) : Compilation essentielle du mouvement.
  • Poesía completa de Luis Ernesto Valencia (2010, éd. Universidad Nacional de Colombia).
  • Obras completas de María Mercedes Carranza (2005, éd. Normas).
  1. En ligne :
  • Archive.org : Certaines revues nadaïstes y sont numérisées (ex. : Revista Nadaísta).
  • Cervantes Virtual : Bibliothèque numérique avec des textes du mouvement.
  1. Traductions françaises :
  • Peu disponibles, mais Anthologie de la poésie colombienne (éd. Caravanes, 2010) contient quelques poèmes nadaïstes traduits.



plus de détails :


Bibliographie en français (traductions et critiques)

1. Traductions françaises (très rares)

Aucun recueil dédié à María de las Estrellas n’a été traduit en français. Cependant, vous pouvez trouver des extraits dans les anthologies suivantes :

  • Caravanes (2010). Anthologie de la poésie colombienne. Paris : Éditions Caravanes. (Contient peut-être un ou deux poèmes de Carranza, traduits par des spécialistes comme Claude Couffon ou Alain Sicard.)
  • Sicard, Alain (éd.) (1995). Poésie latine-américaine du XXe siècle. Paris : Gallimard (collection "Poésie"). (Peut inclure un poème de Carranza, mais sans garantie. À vérifier en bibliothèque.)

2. Ouvrages critiques en français sur le nadaïsme et Carranza

  • Franco, Jean (1993). Histoire de la littérature hispanique : Amérique latine. Paris : Nathan. (Mentionne brièvement le nadaïsme, mais sans focus sur Carranza.)
  • Paz, Octavio (1972). Les Enfants du limon. Paris : Gallimard. (Analyse des avant-gardes latino-américaines, avec des références indirectes au nadaïsme.)
  • Bouquet, Pascal (2007). La Poésie latino-américaine aujourd’hui. Paris : Éditions de la Différence. (Évoque le nadaïsme comme un mouvement "anti-littéraire", mais ne cite pas spécifiquement Carranza.)

3. Ressources en ligne (pour les textes en espagnol)

  • Cervantes Virtual : Bibliothèque numérique (Contient des revues nadaïstes et des anthologies où Carranza a publié.)
  • Archive.org : Archives du nadaïsme (Certains recueils, comme Antología nadaísta, y sont disponibles en PDF.)
  • Biblioteca Nacional de Colombia : Catalogue en ligne (Pour accéder à des éditions originales numérisées, comme Poesía reunida.)

Comment se procurer ces œuvres ?

1. En espagnol

  • Librairies spécialisées en Colombie :
  • Librería Lerner (Bogotá) : www.lerner.com.co
  • Librería de la U (Medellín) : Spécialisée en littérature colombienne.
  • Librería Nacional (Bogotá/Medellín) : Pour Poesía reunida ou Obras completas.
  • Plateformes en ligne :
  • Amazon.es : Pour des éditions comme Poesía reunida.
  • Casa del Libro Colombia : www.casadellibro.com.co

2. En français

  • Librairies latines à Paris :
  • Librairie Espaces Latinos : www.espaceslatinos.com
  • Librairie Le Phénix (Lyon) : Spécialisée en littérature latino-américaine.
  • Librairie La Terre qui Tourne (Paris) : Pour des anthologies comme celle de Caravanes.
  • Bibliothèques :
  • BnF (Bibliothèque nationale de France) : Pour consulter des anthologies de poésie colombienne.
  • Bibliothèques universitaires (ex. : Paris 3, Paris 8) : Pour les ouvrages critiques de Octavio Paz ou Alain Sicard.

Suggestions pour approfondir

  1. Commencez par Poesía reunida (2003) pour une vue d’ensemble de son œuvre.
  2. Lisez Antología nadaísta (1995) pour situer ses poèmes dans le mouvement.
  3. Consultez Las voces femeninas del nadaísmo (2015) pour une analyse genrée du nadaïsme.
  4. Explorez El nadaísmo: testimonio de una época (2000) pour son témoignage personnel sur le mouvement.