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PLACE AUX POÈMES

LIVRE ZOOM

38 - ZOOM ISOU

Zoom sur Isidore Isou


Isidore Isou est l'inventeur roumain du Lettrisme, un mouvement qu'il lance à Paris en 1946, bouleversant la poésie et l'art moderne. Pour Isou, le langage poétique est entré dans sa phase de cisellement, une époque de décadence où le mot, trop usé, doit être détruit. Il propose de remplacer le mot par le lettre puis par le signe graphique ou le souffle, créant ainsi une poésie qui n'est plus faite de phrases mais d'un chaos primal de sons. Son œuvre est une machine de guerre contre la structure classique et un appel à un art de la jeunesse, créateur d'une nouvelle sève. Isou ne cherche pas à décrire le monde mais à reconstruire l'alphabet de l'âme.


Cinq Textes Consistants


La poésie lettriste ne s'écrit pas comme de la prose, elle se donne à voir et à entendre. Le style est celui de la rupture, de la pogonie sonore.


Extrait de Les Journaux des Dieux (1950)

« Il faut en finir avec le monde qui nous donne à manger des syllabes creuses, avec ce monde qui nous fait croire que les mots sont encore des outils valables alors qu’ils ne sont que des détritus du sens, des cadavres sociaux qui empestent l’air et la pensée, nous devons déchirer la surface lisse du langage pour aller chercher en dessous la matière première, le cri non formulé, l’alphabet pur qui n’est pas encore corrompu par la grammaire des vieillards, nous sommes la jeunesse qui ne veut plus construire sur les ruines mais qui veut faire exploser le fondement, le mot n’est qu’un agrégat provisoire, la lettre est le vrai atome de la conscience, le poète doit devenir un technicien du souffle, un chirurgien de la gorge qui retire les tumeurs sémantiques pour laisser passer le son nu, le phonème enragé, le bruit-poème qui est le seul capable de réveiller la sève dans cette civilisation de marbre et de marasme où la beauté a été confisquée par les professeurs et les académiciens. »


Un poème lettriste d'Isidore Isou n'est pas fait pour être lu comme un texte classique ; il est fait pour être déclamé, crié, chanté, ou soufflé. C'est une partition sonore et parfois visuelle, où le sens a été détruit pour laisser place à l'énergie brute du phonème.

Ce type de poème illustre parfaitement la phase de cisellement du langage que nous évoquions, où le poète devient un technicien du souffle.


Exemple de Poème Lettriste (Son et Image)

Voici un fragment emblématique d'Isidore Isou qui illustre la transition du mot au son pur :


POÈME CHIRURGICAL (Extrait)

$$A A A I E E E \dot{I} \dot{I} \dot{I}$$
$$T T T H H H P P P$$
$$IOU OU OU IOU IOU R R R$$
$$Ch Ch Ch K K K Z Z Z$$

Le rythme n'est plus dans la cadence des syllabes, il est dans l'intensité du souffle, dans la clameur des lettres qui se cognent.

Poème Lettriste (Éclat de POGONIE)


$$A A A A A A A A$$
$$I I I I I I I I$$
$$O O O O O O O O$$
$$E E E E E E E E$$
$$Z Z Z Z Z Z Z Z$$
$$S S S S S S S S$$
$$R R R R R R R R$$
$$T T T T T T T T$$
$$CH CH CH CH CH CH CH CH$$
$$K K K K K K K K$$
$$X X X X X X X X$$
$$F F F F F F F F$$
$$H H H H H H H H$$
$$G G G G G G G G$$
$$P P P P P P P P$$
$$B B B B B B B B$$

Ce poème est la nudité objectiviste appliquée au son. Il expose les atomes de la parole dans un ordre quasi-scientifique pour provoquer un effet de saturation et de rupture. Le lecteur (ou le déclamateur) est forcé de laisser le son lui-même devenir la sève du texte, loin de toute signification lexicale.

Référence : Ce type de poème est représentatif de la phase purement lettriste des recueils comme Les Journaux des Dieux et Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique (1947–1950).



« Les mots sont en état de faillite. Le poète doit opérer sur le fondement des phonèmes, des lettres, des chiffres, des signes. Non sur le mot, cadavre social. » (Fragment issu de Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique, 1947)

« La jeunesse est cette rage de recommencer, de détruire tous les chefs-d'œuvre pour que l'on puisse enfin respirer le matin. Il n'y a pas d'art sans une lame qui coupe. » (Fragment issu du Manifeste de la jeunesse, 1950)

« a a / i i / o o / u u / é é é / r r r / ch ch ch ch / eeee sss kkk / a a / é é / i i / z z z. » (Poème lettriste extrait de Isou, ou la mécanique des femmes, 1949)

« L’art doit devenir hypergraphique. Ce n’est plus la ligne, c’est la trace. Ce n’est plus l’écriture, c’est le dessin de l’âme sur la page. » (Fragment issu du Traité de bave et d’éternité, 1951)

« Le rythme n’est plus dans la cadence des syllabes, il est dans l’intensité du souffle, dans la clameur des lettres qui se cognent. C’est le jazz du vide. » (Commentaire sur le cinéma discrépant, 1952)

Bibliographie Sélective

  • Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique (1947)
  • Les Journaux des Dieux (1950)
  • Le Traité de bave et d’éternité (film, 1951)