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PLACE AUX POÈMES

LIVRE ZOOM

45 - ZOOM RIMBAUD

Zoom sur Arthur Rimbaud


Présentation


Arthur Rimbaud (1854–1891) est l’un des poètes français les plus révolutionnaires et énigmatiques du XIXe siècle. Son œuvre, bien que brève, a marqué un tournant décisif dans la poésie moderne, en rompant avec les conventions littéraires et en explorant des territoires inexplorés de la langue, de la vision et de la conscience.

Thèmes majeurs :

  • La révolte et la transgression : Rimbaud rejette les normes sociales, morales et littéraires, cherchant à dérégler tous les sens pour atteindre une connaissance absolue.
  • La quête de l’inconnu : Son œuvre est une aventure spirituelle et poétique, où il explore l’hallucination, le rêve, et les états modifiés de conscience.
  • La modernité et la rupture : Il invente un langage poétique nouveau, mêlant prose et vers, argot et lyrisme, réalisme et symbolisme.
  • L’amour et la souffrance : Ses poèmes abordent l’**amour comme une expérience à la fois extatique et destructrice, notamment dans sa relation avec Verlaine.

Style : Rimbaud utilise un langage explosif, visionnaire, et expérimental. Ses textes sont souvent fragmentaires, allusifs, et chargés de symboles. Il joue avec les sonorités, les images choc, et une syntaxe disloquée pour créer un effet de déflagration poétique.


Dix poèmes complets avec références


1. « Le Bateau ivre »

Source originale :


Texte intégral


Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais insouciant de tous les équipages, Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants, Je courus ! Et les Péninsules démarrées N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a bercé mon sommeil sans rêves. Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !

Plus doux qu’aux enfants la chair des pommes sûres, L’eau verte pénétra mon bois de sapin Et des lames, des tourbillons me livrèrent Aux courants et aux rumeurs des vires.

Martyr des pôles et des zones tordues, Où les mers ont la couleur des catafalques, J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,

La circulation des sèves inouïes, Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chants ! Pénétré de l’odeur des végétations, J’ai dormi, bercé par le roulis des mers,

Comme un bateau coulé dans les herbes, Comme un cadavre ivre dans les fleurs, Comme un déchet dans l’eau des calanques !

Moi qu’on a nommé le Bateau ivre, Car je dévalais toutes les pentes, Sans plus me sentir guidé par les haleurs, Et que les Péninsules démarrées N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants !


2. « Sensation »

Source originale :


Texte intégral


Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l’herbe menue : Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : Mais l’amour infini me montera dans l’âme, Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, Par la Nature, — heureux comme avec une femme.


3. « Le Dormeur du val »


Source originale :


Texte intégral


C’est un trou de verdure où chante une rivière, Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


4. « Voyelles »


Source originale :


Texte intégral


A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges : — O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !


5. « Une Saison en Enfer » (extrait : « Nuit de l’enfer »)

Source originale :


Texte intégral (extrait)


J’ai avalé une fameuse gorgée de poison. — Trois fois bénie soit la pensée qui m’est venue ! Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me terrasse. Meurs, vieux cœur, souvenance des luttes et des déboires ! Ils me rongent. Ah ! quand en finirai-je ? Quand pourrai-je marcher libre, sous le ciel, beau fils du soleil ? Quand pourrai-je nager dans le vin de la vigne, et m’endormir, le front dans les bruyères ?

Je serais bien avide de la grande paix, celle qui surmonte toute joie et toute gloire, celle qui se nourrit d’elle-même sans fin !

— Ah ! je souffre ! Il faut que je me confie à la science. La science est moderne, elle est le moyen d’arriver partout, à tout, à soi-même ! Le corps est son livre. Mais dire ce que je vois, même avec votre langage, je ne pourrais pas !


6- « Ville » *(extrait des Illuminations)


Source originale :


Texte intégral


Je suis un éphémère et un pointu, Si je tiens la promesse, J’ai tant de talent que ma mort sera un accident. Je ne veux plus marcher, avancer ! Les mœurs de ce temps Me sont une danse. Les luttes me paraissent des déboires. L’humanité n’est pas sérieuse. On croirait qu’elle va se corriger, se rajeunir, Par les races… Non ! non ! Elle est en marche, Mais les têtes, ça ne se corrige pas ; Les vieux ont toujours eu raison. Je ne me ferai pas tuer pour des idées, Une bannière. Je ne veux rien dire. Je vais me cacher dans la forêt.



7 - « Après le déluge » *(extrait des Illuminations)


Source originale :


Texte intégral

Dès que l’idée du Déluge se fut rassise, Un lièvre s’arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes, et dit sa prière à l’arc-en-ciel, à travers la toile de l’araignée. Oh! les précieuses pierres qui se cachaient, — les fleurs qui regardaient déjà.

Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l’on tira les bateaux vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures. Le sang coula chez Barbe-Bleue, — aux abattoirs, — dans les cirques, où le sceau de Dieu blanchissait les fenêtres. Le sang et le lait coulaient. Les beuveries furent atroces.

Et la reine, chez les rochers, par les grottes, plus pâle que la cire de bougie, écoutait les romances, les berceuses, et les litanies latines.



8- « Matin » *(extrait des Illuminations)


Source originale :


Texte intégral

N’ai-je pas toujours aimé la joie, le vin, les fêtes, Les rires folâtres, les enfants qui crèvent les yeux ? — À cette heure, j’ai peur de la nuit éternelle.

Depuis huit jours, je me suis caché sous les escaliers De la cour. J’ai pleuré. J’ai cru mourir. J’ai souffert Les douleurs d’un damné, — six mille ans !

Depuis huit jours, j’ai mangé toutes mes laines, Toutes mes toiles, j’ai usé tous mes meubles, Rongé toutes mes armes. J’ai mis le feu À mes élégances. J’ai tiré les rideaux.

Je me suis assis sur les cendres veuf et sans air, Le cœur gonflé de smoke. — Et maintenant, ma chambre Est pleine de l’atmosphère du pôle.

Je m’étudie en me voyant si délaissé qu’on croirait Que mon cœur s’est fondu au feu. Dans ma poitrine, Un cœur de neige ! Toute ma pensée est bouchée.

Je me suis agenouillé, comme un enfant qui prie, Et j’ai dit : « Je suis bien mal ! » J’ai demandé pardon Pour m’être mal conduit. — Oh ! que je sois fou !

Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Mes yeux sont tout enflés. C’est fini. Je suis trop laid pour me mirer encore.

Je me suis étendu, de fatigue. Et je me suis endormi comme un nourrisson.


9 - « Royauté » *(extrait des Illuminations)

Source originale :


Texte intégral

Un matin, on heurtait à la porte d’une maison où des gens étaient morts de la peste. Qui frappa de cette façon ? Des voyageurs attardés, sans doute. Le maître des lieux était mort, la servante était morte, et même le petit chien. Alors, les voyageurs frappèrent plus fort. Le silence autour d’eux était si profond qu’ils n’osaient pas s’appeler. Ils écoutèrent. La maison était pleine d’une odeur de cadavre, et les voyageurs sentirent leurs pieds glacer.

Ils s’assirent sur une borne, à l’ombre d’un arbre qui était devant la porte, et ils se reposèrent de leur marche matinale en fumant. Puis, ils se parlèrent de la contagion, et convinrent qu’il n’y avait rien à faire que de continuer leur chemin, d’autant plus que le soleil était déjà haut.

Mais, comme ils se disposaient à partir, un des voyageurs, levant les yeux vers la maison, aperçut une petite fille qui les regardait, debout derrière une vitre. Elle avait l’air triste et pâle, et elle leur fit signe de la main de s’approcher. Ils se levèrent et s’avancèrent vers la porte. La petite fille leur dit : « Entrez donc. » Ils entrèrent.



10 - « Démocratie » (extrait des Illuminations)

Source originale :


Texte intégral


« La flagellation en cours parmi les clartés leventales et les splendeurs chantantes de la mer et des soleils, — les écroulements de l’égoïsme, — les brûlures de l’orgueil, — la terreur des faiblesses, — c’est ce que nous appelons tous les tourments. »

Le monde va marcher ! Les peupliers frissonnent tout à coup, comme des peaux de bêtes après la pluie. — Le vent de Dieu va souffler sur les tombes, et les morts, sous les ifs et les bruyères, se réveilleront pour écouter la fanfare des jugements. — Car déjà le signal a retenti, — déjà la sueur de l’angoisse ou l’haleine de l’espérance a traversé les grands espaces, — et c’est l’heure de la veille.

— Les anciens parcs des villes vont s’emplir de foules élégantes. — Dans les avenues, des cortèges effarés, que le bon sens ne peut plus guider, — des enfants vont craindre de s’éveiller.

Les hommes (on le sait bien) ne sont pas libres. Ils sont riches ou pauvres, mais toujours esclaves. Les uns le sont de l’ignorance, les autres du travail. — Il n’y a pas de liberté, pas de démocratie, pas de droit.

— La flagellation en cours parmi les clartés leventales et les splendeurs chantantes de la mer et des soleils, — les écroulements de l’égoïsme, — les brûlures de l’orgueil, — la terreur des faiblesses, — c’est ce que nous appelons tous les tourments.



Bibliographie


  • Œuvres de Rimbaud en français :
  • Poésies, 1871 (Wikisource).
  • Une Saison en Enfer, 1873 (Wikisource).
  • Illuminations, 1886 (Wikisource).
  • Études critiques :
  • Rimbaud par Yves Bonnefoy, éditions du Seuil.
  • Arthur Rimbaud : Œuvres complètes, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard.

Pour aller plus profondément dans l’étude de l’œuvre de Rimbaud :


https://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Rimbaud