Le dépôt
30 - ZOOM PRÉVERT
Jacques Prévert (1900-1977)
Jacques Prévert, né le 4 février 1900 à Neuilly-sur-Seine et mort le 11 avril 1977 à Omonville-la-Petite, est l’un des poètes français les plus populaires du XXe siècle. Autodidacte, il a marqué la littérature et le cinéma par son style oral, son humour, son engagement social et sa capacité à capturer la beauté et la tristesse du monde ordinaire.
Une vie entre poésie et cinéma
Prévert grandit dans un milieu modeste. Il fréquente le groupe surréaliste dans les années 1920, mais s’en éloigne pour conserver sa liberté créatrice. Dans les années 1930-1940, il collabore avec des cinéastes comme Marcel Carné, pour qui il écrit des dialogues et scénarios inoubliables (Quai des Brumes, Les Enfants du Paradis, Les Visiteurs du soir). Sa poésie, souvent mise en musique, devient un phénomène culturel, notamment grâce à Paroles (1946), recueil vendu à des millions d’exemplaires.
Œuvres majeures
- Recueils de poèmes : Paroles (1946), Histoires (1946), Spectacle (1951), La Pluie et le Beau Temps (1955), Fatras (1966).
- Chansons : Les Feuilles mortes (musique de Joseph Kosma), Barbara, Sanguine, Le Cancre.
- Scénarios : Quai des Brumes (1938), Les Enfants du Paradis (1945), Les Visiteurs du soir (1942).
1. Le Cancre (in Paroles, 1946)
Il dit non avec la tête mais il dit oui avec le cœur il dit oui à ce qu’il aime il dit non au professeur il est debout on le questionne et tous les problèmes sont posés soudain le fou rire le prend et il efface tout les chiffres et les mots les dates et les noms les phrases et les pièges et malgré les menaces du maître sous les huées des enfants prodiges avec des craies de toutes les couleurs sur le tableau noir du malheur il dessine le visage du bonheur.
Référence : Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1946, p. 47.
2. Barbara (in Paroles, 1946)
Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Épanouie ravie ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t’ai croisée rue de Siam Tu souriais Et moi j’ai souri de même Rappelle-toi Barbara Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour-là N’oublie pas Un homme sous un porche s’abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t’es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m’en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j’aime Même si je ne les ai vus qu’une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s’aiment Même si je ne les connais pas Rappelle-toi Barbara N’oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l’arsenal Sur le bateau d’Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu’es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d’acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n’est plus pareil et tout est abîmé C’est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n’est même plus l’orage De fer d’acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui se traînent Sur les fils télégraphiques.
Référence : Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1946, p. 11-13.
3. Pour faire le portrait d’un oiseau (in Paroles, 1946)
D’abord il faut une cage avec une porte ouverte une cage sans porte si l’oiseau le veut bien il entrera ensuite il faut un arbre dans la cage un arbre vraiment vivant pour que l’oiseau se pose et qu’il chante ensuite il faut du ciel autour de l’arbre un ciel qui s’étende à perte de vue dans la cage ensuite il ne faut pas oublier de mettre dans la cage un peu de vent un peu de soleil et quelques étoiles pour que l’oiseau ne se croie pas en prison ensuite il faut attendre que l’oiseau ait envie d’entrer dans la cage et quand il sera entré il faudra refermer doucement la porte avec le cliquetis du bonheur et puis il faudra attendre attendre que l’oiseau fasse son nid dans la cage et quand il aura fait son nid il faudra attendre attendre que l’oiseau ait envie de chanter et quand il chantera il faudra ouvrir la porte de la cage doucement doucement pour ne pas faire de bruit et si l’oiseau ne s’en va pas il faudra attendre attendre qu’il ait envie de s’envoler de la cage et quand il s’envolera il faudra refermer la porte vivement pour que le bonheur ne s’envole pas et puis il faudra attendre attendre que l’oiseau ait envie de revenir dans la cage et s’il revient il faudra lui dire merci et lui offrir le ciel et puis il faudra attendre attendre qu’il ait envie d’entrer dans la cage et s’il entre il faudra refermer la porte avec le cliquetis du bonheur et puis il faudra attendre attendre que l’oiseau fasse son nid dans la cage et quand il aura fait son nid il faudra attendre attendre que l’oiseau ait envie de chanter et quand il chantera il faudra ouvrir la porte de la cage doucement doucement pour ne pas faire de bruit et si l’oiseau ne s’en va pas il faudra attendre attendre qu’il ait envie de s’envoler de la cage.
Référence : Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1946, p. 102-104.
4. Les Feuilles mortes (in Paroles, 1946)
Oh ! je voudrais tant que tu te souviennes des jours heureux où nous étions amis en ce temps-là la vie était plus belle et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui Les feuilles mortes se ramassent à la pelle tu vois je n’ai pas oublié les feuilles mortes se ramassent à la pelle les souvenirs et les regrets aussi et le vent du nord les emporte dans la nuit froide de l’oubli tu vois je n’ai pas oublié la chanson que tu me chantais c’est une chanson qui nous ressemble toi qui m’aimais et moi qui t’aimais et nous vivions tous les deux ensemble toi qui m’aimais moi qui t’aimais mais la vie sépare ceux qui s’aiment tout doucement sans faire de bruit et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis les feuilles mortes se ramassent à la pelle les souvenirs et les regrets aussi mais mon amour silencieux et fidèle sourit toujours et remercie la vie je t’aimais tant tu étais si jolie comment veux-tu que je t’oublie en ce temps-là la vie était plus belle et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui les feuilles mortes se ramassent à la pelle les souvenirs et les regrets aussi mais mon amour silencieux et fidèle sourit toujours et remercie la vie tu me disais des mots d’amour des mots de tous les jours et ils prennent aux yeux du temps des couleurs de toujours les feuilles mortes se ramassent à la pelle les souvenirs et les regrets aussi mais mon amour silencieux et fidèle sourit toujours et remercie la vie.
Référence : Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1946, p. 112-114 (paroles de la chanson, musique de Joseph Kosma).
Bibliographie
Œuvres de Jacques Prévert
- Paroles, Gallimard, 1946.
- Histoires, Gallimard, 1946.
- Spectacle, Gallimard, 1951.
- La Pluie et le Beau Temps, Gallimard, 1955.
- Fatras, Gallimard, 1966.
- Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1992 (2 tomes).
Ouvrages critiques et biographiques
- Arnaud, Noël, Jacques Prévert, Gallimard, coll. "Folio", 1992.
- Lethuillier, Jean-Pierre, Prévert, le poète, Éditions du Chêne, 2000.
- Loubet del Bayle, Jean-Louis, Jacques Prévert, poète et cinéaste, Éditions Seguier, 2007.
- Jacques Prévert, un inventaire, Catalogue de l’exposition de la BnF, 2017.
Sur le cinéma
- Carné, Marcel, La Vie à belles dents, Éditions du Cerf, 1989.
- Les Enfants du Paradis, Scénario de Jacques Prévert, Éditions Gallimard, 1992.