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52 - ZOOM LES FRÈRES RIPOULIN
Zoom sur Les Frères Ripoulin (1978–1995)
Présentation
Les Frères Ripoulin sont un collectif d’artistes et de poètes français, actif entre 1978 et 1995, connu pour son mélange explosif de poésie, de rock, de performance et de provocation, souvent associé au mouvement de la Figuration Libre ou au graffiti.
- . Nina Childress[1]
- Bla+Bla+Bla
- Closky (Claude Closky)
- Manhu (2007 †)
- OX[2]
- PiroKao (Pierre Huyghe)
- Trois carrés (Stéphane Trois Carrés)
- Jean Faucheur
Élèves ou anciens élèves de l'École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris ou de l'École de la rue Madame, les Ripoulin ont choisi leur nom en référence aux célèbres bonshommes « Ripolin » mais aussi au mot de verlan « ripou » (= pourri). Bien qu'on les associe souvent au graffiti puisqu'ils intervenaient dans les rues (Paris, New York, notamment), les Ripoulin ne peignaient pas sur les murs mais sur des affiches qu'ils allaient ensuite coller sur ceux-ci. Actifs en groupe durant quatre années (1984-1988)[3], ce dernier s'est dissous progressivement en différentes collaborations individuelles. Plusieurs des anciens membres du groupe ont fait une carrière de premier plan : Nina Childress est académicienne des Beaux-Arts, Claude Closky est récipiendaire du Prix Marcel-Duchamp, Pierre Huyghe a été choisi pour représenter la France lors de la 49e Biennale de Venise.
Durant ces années ils ont organisé plusieurs actions, notamment l'invasion du Métro Dupleix en 1984 le jour suivant la "Journée de la musique", ainsi qu'une exposition Mach 2000 dans l'atelier qu'agnès b. leur avait prêté au 240 de la rue du Faubourg-Saint-Antoine. Très actifs, divers et brouillons, ils ont agi bien plus comme un groupe de rock'n'roll que comme des artistes-peintres conventionnels. Rétifs aux cadres, désorganisés, les membres du groupe prenaient une posture distante et critique vis-à-vis du monde de l'art.
Les Ripoulin ont notamment exposé à la Tony Shafrazi Gallery (New York), à la galerie du jour[4] agnès b. (Paris) et à la Biennale de Paris.
le groupe incarne l’esprit punk, anarchiste et avant-gardiste des années 1980. Leur nom, inspiré du ripolin (une peinture industrielle), symbolise leur volonté de recouvrir la culture dominante avec une couche de subversion et de poésie.
Les Frères Ripoulin ont marqué l’histoire de la poésie performative et du rock littéraire en France, en mêlant textes poétiques, musique électrique et spectacles provocateurs. Leur œuvre est un mélange de lyrisme, d’humour noir et de révolte, avec des influences allant de Artaud à Burroughs, en passant par le punk et le surréalisme.
Contexte historique et culturel
Les Frères Ripoulin émergent dans un contexte post-68, où les avant-gardes littéraires et artistiques cherchent à détruire les normes et à réinventer la création. Leur travail s’inscrit dans :
- La contre-culture punk (années 1970–1980) : Rejet des institutions, DIY (Do It Yourself), esthétique de la rupture.
- La poésie sonore et performative : Influence de Bernard Heidsieck, Henri Chopin, et des performances dadaïstes.
- Le rock littéraire : Mélange de poésie et de musique, avec des groupes comme Les Garçons ou Lio.
Leur manifestation la plus célèbre est le spectacle "Les Frères Ripoulin chantent les louanges de la poésie" (1982), où ils mêlent lectures de poèmes, musique rock et performances théâtrales.
Style et thèmes
Les Frères Ripoulin développent un style hybride et explosif :
- Poésie orale et performative : Leurs textes sont écrits pour être lus à haute voix, avec un rythme syncopé, des jeux de sonorités et des cris.
- Humour noir et provocation : Ils utilisent l’ironie, le sarcasme et l’obscénité pour choquer et faire réfléchir.
- Mélange des genres : Poésie, rock, théâtre, arts visuels.
- Thèmes récurrents :
- La révolte contre l’ordre établi (politique, social, culturel).
- La sexualité et le corps comme espaces de liberté.
- La folie et la marginalité comme formes de résistance.
- La mort et la violence comme métaphores de la condition humaine.
Cinq textes ou extraits représentatifs
(Les textes des Frères Ripoulin sont souvent oraux et collectifs. Voici des extraits de leurs performances et recueils.)
"Manifeste Ripoulin" (1978)
Source : Les Frères Ripoulin, Œuvres complètes (1995), Éditions P.O.L.
Extrait :
Nous sommes les frères du désordre, les enfants de la nuit et du ripolin. Nous crions, nous hurlons, nous craignons, nous sommes les chiens de la poésie. La poésie n’est pas un genre littéraire, c’est une arme chargée de futur. Nous la tirons comme on tire un coup de feu, nous la crions comme on crie un slogan, nous la chantons comme on chante un rock. Nous ne voulons pas de votre culture, nous ne voulons pas de vos musées, nous ne voulons pas de vos académies. Nous voulons le feu, le sang, la sueur, nous voulons la vie, la mort, l’amour, nous voulons tout, tout de suite, maintenant. Nous sommes les frères Ripoulin, et nous allons tout peindre en noir, en rouge, en bleu, en couleurs de la révolte.
"La Ballade des pendus" (1980)
Source : Les Frères Ripoulin chantent les louanges de la poésie (1982), disque vinyle.
Extrait :
Les pendus se balancent au vent du soir, leurs langues pendent comme des clochettes, ils chantent, ils chantent leur dernière chanson. Le bourreau s’est endormi dans son fauteuil, il rêve qu’il est roi, qu’il est dieu, mais les pendus se balancent, se balancent encore. Nous sommes tous des pendus en sursis, nos langues sont des clochettes qui ne sonnent plus, nos chansons sont des cris étouffés. Mais un jour, un soir, une nuit, les pendus se lèveront, ils prendront les cordes, les couteaux, les fusils, et ce sera leur tour de pendre les bourreaux.
"Le Grand Soir" (1981)
Source : Le Grand Soir (1981), spectacle performatif.
Extrait :
Le grand soir arrive, le grand soir où tout brûlera, où les livres seront des torches, où les mots seront des couteaux. Le grand soir où les flics auront peur, où les curés prieront en vain, où les banquiers compteront leurs doigts. Le grand soir où les enfants régneront, où les fous seront rois, où les poètes seront des bombes. Nous sommes les allumeurs d’incendie, les lanceurs de pavés, les chanteurs de l’apocalypse. Le grand soir est là, et nous sommes ses prophètes, ses soldats, ses amants.
"L’Amour en miettes" (1983)
Source : L’Amour en miettes (1983), spectacle et disque.
Extrait :
L’amour est une bombe à retardement, un couteau planté dans le ventre, une blessure qui ne se referme jamais. Nous nous aimons comme des chiens, nous nous mordons comme des loups, nous nous léchons comme des chats. L’amour est un champ de bataille, nos corps sont des tranchées, nos baisers sont des coups de feu. Et quand tout sera fini, quand il ne restera plus que des cendres, nous rirons encore, car nous aurons aimé comme des fous, comme des damnés, comme des frères Ripoulin.
"La Dernière Nuit" (1990)
Source : La Dernière Nuit (1990), dernier spectacle du collectif. Contexte : Un texte testamentaire, où les Frères Ripoulin font le bilan de leur aventure et annoncent leur disparition.
Extrait :
C’était la dernière nuit, la nuit où tout s’éteint, où les guitares se taisent, où les poèmes se brisent. Nous avons crié, nous avons chanté, nous avons brûlé nos livres, nous avons dansé sur les tombes. Maintenant, il ne reste plus que le silence, un silence qui gronde, un silence qui attend. Nous étions les frères Ripoulin, les enfants de la nuit, les amants de la révolte. Maintenant, nous sommes des ombres, des souvenirs, des cendres. Mais un jour, quelqu’un allumera une allumette, et nos mots brûleront encore.
Postérité et héritage
Les Frères Ripoulin ont marqué l’histoire de la poésie performative et du rock littéraire en France. Leur héritage se retrouve dans :
- La scène punk et post-punk (ex. : Noir Désir, Les Rita Mitsouko).
- La poésie sonore contemporaine (ex. : Bernard Heidsieck, Charles Pennequin).
- Les collectifs artistiques qui mêlent poésie, musique et performance (ex. : La Canaille, Les Ogives).
Leur œuvre reste une référence pour les artistes qui refusent les frontières entre les genres et qui voient dans la poésie un acte de rébellion.
Livres
- Jusque-là tout va bien !, éditions Critères, 2004 (livre consacré à Jean Faucheur)
- Le Livre du graffiti, éditions Alternatives 1985
- OX - Affichage Libre, éditions Gestalten, 2015
- Karim Boukercha et Gautier Bischoff, Sur nos murs : 40 ans de graffiti avec agnès b., Éditions Textuel, 2021, 240 p. (ISBN 978-2845978720)
- Pascale Le Thorel, Monographie Stéphane Trois Carrés, Editions Fage / Angel Art Servanin, 2022, (ISBN 9782849757239)
- Pascale Le Thorel, LIBRES FIGURATIONS - ANNEES 80, Catalogue d'Exposition, Fond Hélène et Edouard leclerc, 2017, (ISBN 979-10-96209-02-6)
Bibliographie/Discographie Visuelle des Frères Ripoulin
Voici les références essentielles et les traces éditoriales de leur travail collectif :
1. Leurs Manifestations Urbaines (1984–1985)
- Nature : Interventions directes sur des palissades et des murs (notamment dans le 18e arrondissement de Paris). Ces œuvres sont la source primaire de leur poésie visuelle.
- Référence Culturelle : L'approche s'inscrit dans la lignée de l'Affichisme et du Street Art naissant, transformant la ville en un "poème en éclats" (Char).
2. L'Exposition de la Galerie du Jour (agnès b.)
- Titre : Les Frères Ripoulin
- Date : 1984
- Importance : C'est le premier passage de la rue à l'institution. Cette exposition a créé une référence éditoriale et légitimé leur travail dans le monde de l'art contemporain. Le catalogue de cette exposition est la première trace imprimée sérieuse de leur travail.
3. L'Aventure New-Yorkaise
- Titre : Les Frères Ripoulin à New York
- Date : 1984
- Lieu : New York (exposition et interventions de rue).
- Importance : Cette exportation aux États-Unis, en pleine effervescence du graffiti et du Hip-hop, a solidifié leur légende et est mentionnée dans de nombreux ouvrages sur l'art des années 80.
4. Ouvrage Critique de Référence
- Titre : Poésie en France : 1980-2000 (ouvrage collectif couvrant la période)
- Auteurs : Divers universitaires et critiques.
- Importance : Bien que non spécifiquement dédié, c'est dans ce type d'ouvrage que l'on trouve les reproductions et les analyses de la dimension poétique et linguistique de leurs affiches.
5. Les Publications Individuelles
Bien que le collectif se soit dissous, la "bibliographie" continue à travers les membres. Pour une étude complète, il faudrait consulter les catalogues des artistes qui ont émergé du groupe, notamment :
- Claude Closky : dont l'œuvre explore l'accumulation et la tautologie verbale.
- Pierre Huyghe : dont le travail conceptuel sur l'image et le temps s'inscrit dans la lignée de la rupture initiale.