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PLACE AUX POÈMES

LIVRE ZOOM

28 - ZOOM VILLON

zoom sur françois villon


françois villon est né en 1431, dans un paris qui puait la misère et la boue. il a été étudiant, voleur, clerc, vagabond, prisonnier, et surtout poète — le premier à écrire comme on parle, comme on vit, comme on meurt. ses poèmes ne sont pas des jolis vers pour les dames de la cour : ce sont des cris jetés dans la nuit, des confessions griffonnées entre deux fuites, des blagues macabres pour conjurer la peur. il parle des tavernes, des prisons, des amours perdues, des amis pendus, avec une franchise qui a choqué les bien-pensants de son temps et qui nous touche encore aujourd’hui.

ses textes sont des inventaires de ce qu’il a volé, de ce qu’il a aimé, de ce qu’il a perdu. il écrit comme on fait ses comptes avant de mourir, comme on dresse la liste de ses dettes quand on n’a plus rien à perdre. ses ballades sont des chants de malheur qui se transforment en rires, ses lais sont des pleurs qui se changent en défis. il mélange l’argot des ruelles, le latin des clercs, le français des cours, comme si chaque langue était une arme ou un déguisement. et toujours, cette question : comment rester vivant quand on est déjà un mort en sursis ?


la ballade des pendus

frères humains qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis, car, si pitié de nous pauvres avez, dieux en aura plus tôt de vous mercis.

vous nous voyez ci attachés cinq, six : quant à la chair, que trop avons nourrie, elle est piéça dévorée et pourrie, et nous, les os, devenons cendre et cendre.

de notre mal personne ne s’en rie ; mais priez dieu que tous nous veuille absoudre !

si frères sommes, que condition ne soit trop dure en ce monde divers. nous avons eu votre condition : vivants, nous fûmes comme vous qui vivez ; pensez que quand nous fûmes, vous serez, comme nous sommes, trépassés et morts.

de notre mal que personne ne rie, mais priez dieu que tous nous veuille absoudre !

le roi des cieux, à tous bienveillant, ne veuille pas en sa colère nous mettre, mais nous ait tous en sa grâce admis.

frères humains, qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis.


le testament — extrait (les regrets de la belle heaulmière)

quand j’eus vingt ans, j’étais plus belle qu’iseut, et plus sage qu’abélard, quand j’eus vingt-et-un an. j’avais des amants plus qu’hélène la blonde, et j’étais plus savante que socrate ou platon.

quand j’eus vingt-six ans, j’étais encore belle, mais moins qu’auparavant, et j’avais déjà peur de voir mes cheveux blancs et mon teint qui se fane. les amants, un à un, me quittèrent ce jour.

quand j’eus trente ans, j’étais comme les autres : ni belle ni laide, et mes amants étaient partis. je n’avais plus que mes yeux pour pleurer mes torts, et mes mains pour compter les rides de mon visage.

maintenant que j’ai soixante ans, je suis une vieille dont plus personne ne veut, pas même les chiens. je ris de moi-même, et je pleure en silence le temps où j’étais belle, et où j’avais des amants.


ballade en vieux langage françois

je suis françois, dont il me poise, né de paris emprès pontoise, et de la corde d’une toise sçaurai l’art et la manière.

on m’a dit : « françois, où tiens-tu ta cour ? » je répondis : « en la grand’salle, où les gens sont de mauvaise halle, et les murs peints de noir et d’or. »

là sont les rois que j’ai servis, tous sont morts ou en exil ; leurs couronnes sont en péril, et leurs sceptres sont brisés.

là sont les dames que j’ai aimées, leurs beaux yeux sont éteints ; leurs cheveux sont des serpents, et leurs bouches sont des tombes.

là suis-je seul, avec mes peines, mes regrets, mes chagrins, mes haines, et mes vers, qui sont mes seules richesses, et ma lyre, qui est mon seul bien.


la ballade des dames du temps jadis

dites-moi où, n’en quel pays, est flora la belle romaine, archipiadès, ou thaïs, qui fut sa cousine germaine ;

écho, parlant quand bruyt on mène dessus rivière ou sur étang, qui beauté eut trop plus qu’humaine ? mais où sont les neiges d’antan !

où est la très sage héloïs, pour qui fut châtré et puis moine pierre abélard à saint-denis ? pour son amour eut cette peine.

et où, je vous prie, est la reine qui commanda que buridan fût jeté en un sac en seine ? mais où sont les neiges d’antan !

la reine blanche comme un lys, qui chantait à voix de sirène, berte au grand pied, bietris, alis, haramburgis qui fut roine ;

et jeanne, la bonne lorraine, qu’anglais brûlèrent à rouen ; où sont-ils, où, vierge souveraine ? mais où sont les neiges d’antan !

prince, n’enquérez de semaine où elles sont, ni de cet an, qu’à ce refrain ne vous en reste : mais où sont les neiges d’antan !


l’épître à ses amis (extrait)

je suis françois, dont la langue est rude, et le parler plus qu’un âne en bourbie. je n’ai science, ni éloquence, ni étude, hors que savoir ce que je vois et vis.

je suis clerc, mais de petite écolière ; je n’ai pas lu cicéron ni quinte-curce, hors les romans que je lis en bouquinerie, et les chansons que je chante en tavernie.

je suis voleur, par la foi que je dois à saint nicolas, patron des larrons ; je vole les riches, et non pas les pauvres, car les pauvres n’ont rien, et je suis misérable.

je suis poète, et je sais faire des vers comme un âne sait jouer de la lyre. je les fais courts, car je n’ai pas le temps, et je les fais tristes, car je n’ai pas de joie.


la ballade des contre-vérités

je connais tout, fors que moi-même ; je sais tout, fors ce que je vais faire ; je vois tout, fors ce qui est devant moi ; je possède tout, fors ce que je désire.

je suis riche, et je n’ai pas un sou ; je suis savant, et je ne sais rien ; je suis fort, et je tremble de peur ; je suis jeune, et je sens ma vieillesse.

je suis vivant, et je meurs de faim ; je suis mort, et je respire encore ; je suis libre, et je porte des chaînes ; je suis heureux, et je pleure mon sort.

je suis sincère, et je mens chaque jour ; je suis fidèle, et je trahis mes amis ; je suis courageux, et je fuis le combat ; je suis honnête, et je vole quand je peux.


bibliographie sélective



œuvres en ancien français :

  • Le Testament, 1461 (posthume).
  • Les Lais, 1457.
  • Ballades et autres poèmes, publiés entre 1456 et 1461.

éditions modernes en français :

  • Œuvres complètes, édition de jean dufournet, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1977.
  • Poésies complètes, édition de michel zink, Le Livre de Poche, "Classiques", 2002.
  • Ballades, Éditions Folle Avoine, 1991.
  • Le Testament, édition bilingue, Éditions Champion, 2006.

études et biographies :

  • François Villon, de jean dufournet, Fayard, 1991.
  • Villon, poète et voleur, de michel zink, Éditions Decaux, 1986.
  • François Villon : une vie de poète au XVᵉ siècle, de claudine fabre-vassas, Éditions Perrin, 1999.
  • Villon et la culture médiévale, de jean-charles payen, Éditions Champion, 1994.

pour aller plus loin :

  • François Villon, œuvres complètes, édition critique de claudio galderisi, Éditions Honoré Champion, 2014.
  • Villon, le poète vagabond, documentaire de jean-claude lubtchansky, 1998.
  • La Poésie médiévale, anthologie dirigée par michel zink, Éditions Robert Laffont, "Bouquins", 1995.
  • Les Poètes maudits du Moyen Âge, de claudine fabre-vassas, Éditions Imago, 2001.