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PLACE AUX POÈMES

LIVRE ZOOM

18 - ZOOM UNGARETTI

zoom sur giuseppe ungaretti —



giuseppe ungaretti est né en Égypte en 1888, mais c’est dans les tranchées de la première guerre mondiale qu’il a trouvé sa voix. ses poèmes ne sont pas des récits, ce sont des fragments arrachés au chaos, des cris étouffés sous les obus, des prières murmurées dans la boue. il écrit comme on respire entre deux assauts : par saccades, par mots courts, par images qui claquent comme des coups de feu. sa poésie est une survie — non pas une célébration de la guerre, mais une tentative désespérée de lui donner un sens, ou du moins de lui résister.

il a inventé une forme poétique qui ressemble à des télégrammes envoyés depuis l’enfer : des vers courts, des blancs qui parlent, des mots isolés comme des pierres tombales. il n’y a pas de ponctuation superflue, pas de métaphores alambiquées, juste l’essentiel — comme si chaque syllabe était une gorgée d’eau dans le désert. ses thèmes ? la peur, la fraternité entre soldats, la beauté cruelle des paysages de guerre, et cette question obsédante : comment rester humain quand le monde autour de vous n’est plus que destruction ?


m’attardo

mi illumino d’immenso


je m’attarde

je m’illumine d’immensité


soldati

si sta come d’autunno sugli alberi le foglie


soldats

nous sommes comme en automne sur les arbres les feuilles


veglia

un’intera nottata buttato vicino a un compagno massacrato con la sua bocca digrignata volta al plenilunio con la congestione delle sue mani penetrata nel mio silenzio ho scritto lettere piene d’amore

non sono mai stato tanto attaccato alla vita


veille

une nuit entière jeté près d’un camarade massacré avec sa bouche tordue tournée vers la pleine lune avec la congestion de ses mains pénétrée dans mon silence j’ai écrit des lettres pleines d’amour

je n’ai jamais été autant attaché à la vie


i fiumi

mi tengo a quest’albero mutilato abbandonato in questa dolina che ha il languore di un circo d’inverno

e un paesaggio di cartapesta

mi tengo alla nostalgia dei miei sensi feriti

ho ripassato le stagioni ho visto migrare gli uccelli

e ho sostituito i fiumi agli occhi


les fleuves

je me cramponne à cet arbre mutilé abandonné dans ce vallon qui a la langueur d’un cirque d’hiver

et un paysage de carton-pâte

je me cramponne à la nostalgie de mes sens blessés

j’ai revécu les saisons j’ai vu migrer les oiseaux

et j’ai remplacé les fleuves par mes yeux


san martino del carroso

di queste case non è rimasto che qualche brandello di muro

di tanti che mi corrispondevano non m’è rimasto neppure tanto

ma nel mio cuore nessuna croce manca

è il mio cuore il paese più straziato


san martino del carroso

de ces maisons il ne reste que quelques lambeaux de mur

de tous ceux qui me correspondaient il ne m’est resté pas même autant

mais dans mon cœur aucune croix ne manque

c’est mon cœur le pays le plus déchiré