Le dépôt
19 - ZOOM PASOLINI
zoom sur pier paolo pasolini
pier paolo pasolini était un homme en colère, un amoureux des corps et des langues, un prophète qui voyait l’apocalypse dans les banlieues romaines et la beauté dans les visages des jeunes ouvriers. il a écrit comme on crache du feu, comme on embrasse un ennemi, comme on pleure un monde qui disparaît. ses poèmes ne sont pas des textes, ce sont des coups de poing, des baisers volés, des manifestes griffonnés à la hâte entre deux tournages, deux procès, deux scandales. il mélangeait le dialecte frioulan, l’italien classique, l’argot des faubourgs, le latin des églises, comme si chaque langue était une arme ou une caresse. il parlait des mères, des putains, des saints, des ouvriers, des jeunes gens comme personne avant lui, avec une tendresse qui n’excluait pas la fureur.
ses thèmes ? la perte de l’innocence, la trahison de la gauche, la beauté des corps pauvres, la laideur du pouvoir, la sainteté des marginaux. il écrivait comme il vivait : sans compromis, sans peur, sans pardon. ses poèmes sont des cries jetés dans le vide, des prières adressées à un dieu qui ne répond pas, des chants pour ceux que l’histoire a oubliés. et toujours, cette obsession : comment rester vivant quand le monde vous tue ?
la ricetta (1957)
la ricetta per fare un poeta: un chilo di solitudine, un etto di rabbia, un pugno di tenerezza (roba da poco), un litro di lacrime, un pezzo di pane nero, e un sorso di vino.
mescolare il tutto con cura, lasciare riposare al buio per almeno vent’anni. poi, quando la pasta è pronta, stenderla al sole, e aspettare che si asciughi.
la recette (1957)
la recette pour faire un poète : un kilo de solitude, un hecto de rage, une poignée de tendresse (pas grand-chose), un litre de larmes, un morceau de pain noir, et une gorgée de vin.
mélanger le tout avec soin, laisser reposer dans l’obscurité pendant au moins vingt ans. puis, quand la pâte est prête, l’étendre au soleil, et attendre qu’elle sèche.
il pianto della scavatrice (1954)
ho visto una madre piangere sopra un figlio morto ammazzato. era in un cortile, a Testaccio, tra le case basse e grigie.
il figlio aveva diciassette anni, era un operaio, comunista. l’hanno ucciso i fascisti, una sera, per strada.
la madre non gridava, non bestemmiava: piangeva, semplicemente, piangeva. e intorno a lei, nel cortile, c’era un silenzio di morte.
les pleurs de la femme de ménage (1954)
j’ai vu une mère pleurer sur son fils mort assassiné. c’était dans une cour, à testaccio, entre les maisons basses et grises.
le fils avait dix-sept ans, c’était un ouvrier, communiste. les fascistes l’ont tué, un soir, dans la rue.
la mère ne criait pas, ne blasphémait pas : elle pleurait, simplement, elle pleurait. et autour d’elle, dans la cour, il y avait un silence de mort.
le ceneri di gramsci (1957)
le tue ceneri, Gramsci, riposano quiete sotto questo cielo di Roma, tra le tombe degli eroi.
ma il tuo spirito, Gramsci, non riposa. è vivo, come un fuoco che brucia nelle coscienze dei giovani.
noi, che siamo nati dopo di te, noi, che non abbiamo conosciuto la tua lotta, la tua passione, noi ti leggiamo, ti studiamo, e sentiamo che il tuo spirito ci parla, ci guida, ci dice che la lotta continua.
les cendres de gramsci (1957)
tes cendres, gramsci, reposent en paix sous ce ciel de rome, parmi les tombes des héros.
mais ton esprit, gramsci, ne repose pas. il est vivant, comme un feu qui brûle dans les consciences des jeunes.
nous, qui sommes nés après toi, nous, qui n’avons pas connu ton combat, ta passion, nous te lisons, nous t’étudions, et nous sentons que ton esprit nous parle, nous guide, nous dit que la lutte continue.
la religione del mio tempo (1961)
io non ho fede, ma prego. prego i morti, prego i vivi, prego i santi, prego i dannati.
prego perché ho paura. ho paura della solitudine, della vecchiaia, della morte. ho paura di non essere amato, di non essere ricordato.
prego perché ho bisogno di credere in qualcosa, anche se so che è una menzogna. prego perché sono un uomo, e gli uomini hanno bisogno di pregare.
la religion de mon temps (1961)
je n’ai pas la foi, mais je prie. je prie les morts, je prie les vivants, je prie les saints, je prie les damnés.
je prie parce que j’ai peur. j’ai peur de la solitude, de la vieillesse, de la mort. j’ai peur de n’être pas aimé, de n’être pas souvenir.
je prie parce que j’ai besoin de croire en quelque chose, même si je sais que c’est un mensonge. je prie parce que je suis un homme, et les hommes ont besoin de prier.
a un ragazzo (1971)
tu sei bello, ragazzo, con i tuoi capelli neri e gli occhi pieni di sogni. sei bello come un dio, come un angelo caduto dal cielo.
ma so che la vita ti spezzerà le ali, che il mondo ti ruberà la luce dagli occhi.
allora, ragazzo, ricordati di me. io sarò sempre qui, a lottare, a sperare, a credere che un mondo migliore sia possibile.
à un jeune homme (1971)
tu es beau, jeune homme, avec tes cheveux noirs et tes yeux pleins de rêves. tu es beau comme un dieu, comme un ange tombé du ciel.
mais je sais que la vie te brisera les ailes, que le monde te volera la lumière des yeux.
alors, jeune homme, souviens-toi de moi. je serai toujours là, à lutter, à espérer, à croire qu’un monde meilleur est possible.
Pour explorer davantage l'œuvre poétique et politique de Pier Paolo Pasolini :
Recueils de poésie (en italien) :
- Poesie a Casarsa (1942), poèmes en dialecte frioulan.
- Le ceneri di Gramsci (1957), recueil majeur incluant "La ricetta" et "Le ceneri di Gramsci".
- La religione del mio tempo (1961), où figure "A un ragazzo".
- Poesia in forma di rosa (1964), incluant "Il pianto della scavatrice".
- Trasumanar e organizzar (1971), poèmes des dernières années.
En français :
- Poèmes, traduction de José Guidi, Gallimard, "Poésie", 1980 (réédité en 2003).
- Les Cendres de Gramsci, traduction de René de Ceccatty, Christian Bourgois, 1986.
- Poésie en forme de rose, traduction de René de Ceccatty, Christian Bourgois, 1990.
- Œuvres poétiques, traduction de José Guidi et René de Ceccatty, Gallimard, "Quarto", 2003 (anthologie complète).
Essais et écrits politiques :
- Écrits corsaires, traduction de Philippe Guilhon, Flammarion, 1978.
- Lettres luthériennes, traduction de José Guidi, Gallimard, 1978.
- Le Pouvoir et le peuple, textes politiques réunis, Éditions de l'Olivier, 2021.
Films et documentaires :
- Accattone (1961), Mamma Roma (1962), Théorème (1968), Salo ou les 120 Journées de Sodome (1975) — son œuvre cinématographique est indissociable de sa poésie.
- Pasolini, un délire (documentaire de Jean-André Fieschi, 1971).
- Pasolini, la rage de vivre (documentaire de Jean-Pierre Carlon et Laurent Seksik, 2015).
Biographies et études critiques :
- Pasolini, une vie violente de Enzo Siciliano, Gallimard, 1982.
- Pasolini, portrait du poète en cinéaste de René Prédal, Cerf, 1998.
- Pasolini, le corps et le sacré de Jean Duflot, Éditions du Seuil, 1981.
- Pasolini, le dernier prophète de Philippe Azoury, Grasset, 2005.
Pour aller plus loin :
- Pasolini, œuvres complètes, volume I et II, Éditions de la Différence, 2000 (inclut poèmes, essais, scénarios).
- Pasolini, le poète civil, numéro spécial de la revue Europe, mai-juin 2005.
- Pasolini, une anthologie, textuel, 2022 (choix de textes poétiques et politiques).
Ces références permettent d'aborder l'œuvre de Pasolini dans sa diversité : poésie, cinéma, engagement politique et réflexion sur la culture populaire.