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PLACE AUX POÈMES

LIVRE ZOOM

27 - ZOOM LABÉ

zoom sur louise labé — la poétesse de lyon qui défiait les dieux et les hommes


louise labé, dite la belle cordière, a vécu au xviᵉ siècle dans un monde qui n’était pas fait pour les femmes qui écrivaient. née vers 1524 à lyon, elle a tenu un salon littéraire, joué de la musique, monté à cheval, et surtout, elle a écrit des poèmes d’amour et de révolte qui ont fait trembler les bien-pensants. ses sonnets ne parlent pas de soumission ou de vertus féminines : ils parlent de désir, de liberté, de plaisir, avec une franchise qui a choqué ses contemporains. elle a osé dire "je" là où les femmes devaient se taire, elle a osé aimer là où on leur demandait de se soumettre.

ses poèmes sont des flèches lancées contre les conventions. elle y célèbre l’amour charnel, la beauté des corps, l’intelligence des femmes, et la folie de vivre. elle écrit avec une élégance qui n’exclut pas la provocation, une musicalité qui n’exclut pas la révolte. ses sonnets sont des déclarations de guerre contre un monde qui voulait les femmes muettes et soumise. et toujours, cette question : pourquoi les hommes ont-ils peur de nous quand nous parlons ?


sonnet i

baise m’encor, rebaise-moi et baise : donne m’en un de tes plus savoureux, donne m’en un de tes plus amoureux : je t’en rendrai quatre plus chauds que braise.

las ! te voila fâché, si toi je baise. vive la rose ! vive le lys vermeil ! vive le vin ! vive le lait pareil ! vive le miel et vive la cerise !

baise m’encor de cette bouche vermeille, qui de corail et de rubis se tache : ta bouche enflamme plus que le soleil.

laisse là bas l’indienne et sa guirlande : cette fleur-ci fleurit plus que la rose, et d’un baiser elle rend l’âme joyeuse.


sonnet viii

je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ; j’ai chaud extrême en endurant froidure : la vie m’est et trop molle et trop dure. j’ai grands ennuis entremêlés de joie.

tout à coup je ris, tout à coup je larmoie, et en plaisir maint grief tourment j’endure : mon bien s’en va, et à jamais il dure ; tout en un coup je sèche et je verdoie.

ainsi amour inconstamment me mène : et quand je pense avoir plus de douleur, sans y penser, je me trouve hors de peine.

puis quand je crois ma joie être certaine, et être au haut de mon désir heureux, il me remet en mon premier ennui.


sonnet x

ô beaux yeux, qui m’avez donné la vie, ô douce voix, qui m’avez enchantée, ô beau front, où mes yeux se sont fixés, ô doux sourire, où mon âme est ravie !

vous êtes mon repos, vous êtes ma vie, vous êtes mon trésor, vous êtes mon bien ; sans vous, mon cœur serait un désert froid, sans vous, mon âme serait une ombre vaine.

mais vous, cruels, vous me fuyez toujours, et mon amour, qui pour vous seul s’éveille, se consume en pleurs et en vains efforts.

ah ! si vous saviez comme je vous aime, vous ne fuiriez pas un cœur qui vous aime plus que la vie, plus que les jours, plus que tout.


sonnet xv

si nos amours étaient des roses fraîches, et nos baisers des perles orientales, et nos soupirs des vents printaniers, et nos regards des éclairs étincelants,

nous serions les rois et les reines des champs, et nos nuits seraient des fêtes éternelles, et nos jours des matins toujours clairs, et nos cœurs des astres toujours brillants.

mais nos amours sont des fleurs qui se fanent, et nos baisers des larmes qui s’effacent, et nos soupirs des vents qui s’envolent,

et nos regards des ombres qui s’éteignent. ainsi nos vies, comme un songes, s’enfuient, et nos bonheurs ne sont que des fumées.


sonnet xviii

je ne suis point celle qui jamais ne pleure, ni celle qui rit quand son cœur est en peine ; je ne suis point celle qui, fière et hautaine, méprise l’amour et ses douces erreurs.

je suis celle qui, quand l’amour la touche, se laisse emporter comme une feuille au vent ; je suis celle qui, quand son cœur se lamente, pleure et rit tout à la fois, en un tourment.

je ne suis point celle qui feint et qui ment, ni celle qui cache ses feux sous la cendre ; je suis celle qui dit ce qu’elle ressent,

qui aime sans feinte, qui brûle sans défense, et qui, quand elle aime, ne craint point qu’on la blâme, car son cœur est son guide, et non pas la raison.


bibliographie sélective



œuvres poétiques :

  • Œuvres, édition de 1555 (incluant les Élégies et les Sonnets).
  • Débat de Folie et d’Amour, 1555.

en français (éditions récentes) :

  • Œuvres poétiques complètes, édition de françois rigolot, Gallimard, "Poésie", 2004.
  • Sonnet pour Louise, anthologie, Éditions Mille et Une Nuits, 2003.
  • Les Élégies et les Sonnets, Éditions Folle Avoine, 1999.

études et biographies :

  • Louise Labé, une créatrice au xviᵉ siècle, de mireille huchon, Éditions Champion, 2006.
  • La Belle Cordière : Louise Labé, une femme libre au temps de la renaissance, de françoise charpentier, Éditions Payot, 2006.
  • Louise Labé, lyonnaise, de perrine galand, Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, 2004.
  • Les Femmes et la poésie à la renaissance : Louise Labé, numéro spécial de la revue XVIᵉ Siècle, 2010.

pour aller plus loin :

  • Louise Labé, œuvres complètes, édition critique de françois rigolot, Éditions Droz, 2019.
  • Louise Labé, la poétesse rebelle, documentaire de claire d’harcourt, 2015.
  • Les Femmes poètes de la renaissance, anthologie dirigée par véronique gérard-powell, Éditions Classiques Garnier, 2018.