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PLACE AUX POÈMES

LIVRE ZOOM

83 - ZOOM APOLLINAIRE

POÈMES


« Le Pont Mirabeau »


Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours

Faut-il qu’il m’en souvienne

La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face

Tandis que sous Le pont de nos bras passe

Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va

Comme la vie est lente

Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Source : Guillaume Apollinaire, Le Pont Mirabeau, in Alcools, 1913, Éditions Gallimard



« Zone »


À la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes

La religion seule est restée toute neuve la religion

Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation


Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme

L’Européen le plus moderne c’est vous pape Pie X

Et toi que les fenêtres observent la honte te retient

D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux

Il y a les livraisons à 25 centimes pleines de crimes divers

Des crimes amoureux des crimes politiques

Des faits divers des crimes passionnels

Et les journaux les affiches qui chantent tout haut

Voilà la poésie ce matin et il y a les crosswords

Les crosswords qu’on invente pour passer le temps

Le temps qu’il fait aujourd’hui et qu’il fera demain

Selon les informations à la radio et les criées des marchands de journaux

Je suis seul ici et je pense à toi

Je suis seul et je bois

Et je vois des yeux tristes qui me regardent

Et je bois

Et je fume

Et je pense à toi

Je pense à ceux qui sont partis

Et à ceux qui vont partir

Et à toi aussi

Je suis ivre et je ne veux plus boire

Je suis ivre et je veux encore boire

Je suis seul et je veux être seul

Je suis seul et je veux être avec toi

Et je bois

Source : Guillaume Apollinaire, Zone, in Alcools, 1913, Éditions Gallimard



« La Chanson du mal-aimé »


Un soir de demi-brume à Londres

Un voyou qui ressemblait à mon amour

Vint à ma rencontre et me dit ces mots

Belle lady love me

Dois-je à la voix du vent

Le tourment de mon sang

Le mal de mes os et les maux de mon âme

D’où viennent les chagrins et d’où vient la pitié

Je suis seul dans ma maison sous la pluie

Qui tombe sur la ville et sur mon cœur

Quoi qu’il advienne je n’ai plus d’espoir

Et je n’ai plus peur non plus

Les jours s’en vont je demeure

Les nuits sans amour s’écoulent comme l’eau

Mon cœur est un violoncelle qui chante

Et je n’ai personne à qui faire un aveu

Ni qui veuille m’entendre

Je suis le poète solitaire et méprisé

Je suis le poète dont le cœur est un violoncelle

Qui chante sous la pluie

Et je n’ai personne à qui faire un aveu

Ni qui veuille m’entendre

Source : Guillaume Apollinaire, La Chanson du mal-aimé, in Alcools, 1913, Éditions Gallimard



« Les Fenêtres »


Du rouge au vert tout le jaune se meurt

Quand chantent les violons de l’automne

Blessé par la chanson d’un jour

Je me souviens des anciens automnes

Et je vois s’envoler un à un

Les rêves en forme de papillons

Qui meurent au bord de l’eau

Comme des fleurs fanées dans les jardins

Les fenêtres sont des yeux qui pleurent

Des yeux qui regardent la vie

Et ne voient que des ombres

Des ombres qui passent et qui s’en vont

Comme les nuages dans le ciel

Comme les feuilles dans le vent

Je suis assis devant la fenêtre

Et je regarde les gens qui passent

Ils ne me voient pas

Ils ne voient que leurs ombres

Et leurs ombres ne voient rien

Source : Guillaume Apollinaire, Les Fenêtres, in Calligrammes, 1918, Éditions Gallimard



« L’Adieu »


J’ai cueilli ce brin de bruyère

L’automne est morte souviens-t’en

Nous ne nous verrons plus sur terre

Odeur du temps brin de bruyère

Et souviens-toi que je t’attends

Source : Guillaume Apollinaire, L’Adieu, in Calligrammes, 1918, Éditions Gallimard



« La Victoire »


Ô loups qui n’avez pas dévoré le soleil

Les peuples vous appellent liberté

Les peuples vous appellent

Et vous courez dans les steppes de l’histoire

En hurlant votre faim de lumière

Les canons tonnent comme des orgues

Les obus sifflent comme des oiseaux

Et les soldats tombent comme des feuilles

Sous la pluie de fer et de feu

Mais au-dessus de la mêlée

Un drapeau flotte dans le vent

C’est le drapeau de l’espoir

Le drapeau de la victoire

Le drapeau de la paix

Source : Guillaume Apollinaire, La Victoire, in Calligrammes, 1918, Éditions Gallimard



PRÉSENTATION


Guillaume Apollinaire, de son vrai nom Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky, est né à Rome le 26 août 1880. Il passe son enfance entre l'Italie, Monaco et la Côte d'Azur, puis s'installe à Paris en 1899. Il devient rapidement une figure centrale de la vie littéraire et artistique parisienne, fréquentant les cercles d'avant-garde et se liant d'amitié avec des artistes comme Pablo Picasso, Georges Braque, Marc Chagall, et Amedeo Modigliani.

Apollinaire est un poète, écrivain, et critique d'art visionnaire. Il est l'un des pionniers de la poésie moderne, inventant de nouvelles formes poétiques comme le calligramme, où le texte prend la forme visuelle de son sujet. Son œuvre est marquée par une fusion entre tradition et innovation, entre lyrisme et expérimentation. Il est également un ardent défenseur de l'art moderne, notamment du cubisme, qu'il contribue à théoriser et à populariser.

En 1914, Apollinaire s'engage volontairement dans l'armée française. Blessé à la tête en 1916, il subit une trépanation et reste marqué par cette expérience, qui influence profondément son écriture. Il meurt le 9 novembre 1918, emporté par la grippe espagnole, deux jours avant l'armistice qui met fin à la Première Guerre mondiale.

L'œuvre d'Apollinaire, à la fois lyrique et avant-gardiste, a profondément influencé la poésie du XXe siècle. Ses poèmes, comme Le Pont Mirabeau ou Zone, sont devenus des classiques de la littérature française. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands poètes de la modernité, un écrivain qui a su capturer l'esprit d'une époque en pleine transformation.



BIBLIOGRAPHIE


Alcools, 1913, Éditions Gallimard. Lien vers l'éditeur

Calligrammes, 1918, Éditions Gallimard. Lien vers l'éditeur

Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, 1911, Éditions Gallimard. Lien vers l'éditeur

Les Mamelles de Tirésias, 1917, théâtre, Éditions Gallimard. Lien vers l'éditeur

Œuvres poétiques complètes, Éditions Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade, 1965. Lien vers l'éditeur

Lettres à Lou, 1969, Éditions Gallimard. Lien vers l'éditeur

Chroniques d’art (1902-1918), 1960, Éditions Gallimard. Lien vers l'éditeur

Ses œuvres sont disponibles en français aux éditions Gallimard. Certains de ses poèmes peuvent aussi être lus en ligne sur des sites comme Poésie/Gallimard ou Poezibao. Pour approfondir sa pensée, on peut également consulter les travaux critiques de Michel Décaudin, Laurence Campa, et Pierre Caizergues.