Le dépôt
75 - ZOOM DARIO
POÈMES
« Sonatina »
La princesa está triste… ¿Qué tendrá la princesa? Los suspiros se escapan de su boca de fresa, que ha perdido la risa, que ha perdido el color. La princesa está pálida en su silla de oro, está mudo el teclado de su clave sonoro, y en un vaso, olvidada, se desmaya una flor.
El jardín puebla el triunfo de los pavos reales. Parlanchina, la dueña dice cosas banales, y, vestido de rojo, piruetea el bufón. La princesa no ríe, la princesa no siente; la princesa persigue por el cielo de Oriente la sombra de una almohada de raso de Japón.
¡Oh, princesa de los ojos azules, en tus ojos de princesa llorosa yo quise ver el alma, y no vi sino el azar! ¡Oh, princesa de los ojos azules, en que no sé qué lánguida tristeza de ópalo se ha puesto a soñar!
« Sonatine »
La princesse est triste… Qu’a donc la princesse ? Les soupirs s’échappent de sa bouche de fraise, elle a perdu le rire, elle a perdu ses couleurs. La princesse est pâle sur son siège d’or, le clavier de son clavecin est muet, et dans un vase, oubliée, une fleur se fane.
Le jardin s’emplit du triomphe des paons. Bavarde, la gouvernante dit des choses banales, et vêtu de rouge, le bouffon fait des pirouettes. La princesse ne rit pas, la princesse ne sent rien ; la princesse poursuit à travers le ciel d’Orient l’ombre d’un coussin de soie du Japon.
Ô princesse aux yeux bleus, dans tes yeux de princesse pleureuse j’ai voulu voir l’âme, et je n’ai vu que le hasard ! Ô princesse aux yeux bleus, où une languissante tristesse d’opale s’est mise à rêver !
Source : Rubén Darío, Azul…, 1888
« Canción de otoño en primavera »
Juventud, divino tesoro, ¡ya te vas para no volver! Cuando quiero llorar, no lloro… y a veces lloro sin querer.
Plural ha sido la celeste historia de mi corazón. Era una dulce niña en este mundo de duelo y de aflicción.
Mi verso es como un puñal que por el puño echa flor: mi verso es un surco de cristal que un popel de nieve dejó.
¡Oh, juventud, divino tesoro, ya te vas para no volver! ¡Cuánto te quise, cuánto te quiero, y cuánto te he de querer!
« Chant d’automne en printemps »
Jeunesse, divin trésor, tu t’en vas pour ne plus revenir ! Quand je veux pleurer, je ne pleure pas… et parfois je pleure sans le vouloir.
Plurielle a été la céleste histoire de mon cœur. C’était une douce enfant dans ce monde de deuil et d’affliction.
Mon vers est comme un poignard qui par le manche donne une fleur : mon vers est un sillon de cristal qu’un flocon de neige a laissé.
Ô jeunesse, divin trésor, tu t’en vas pour ne plus revenir ! Combien je t’ai aimée, combien je t’aime, et combien je t’aimerai !
Source : Rubén Darío, Cantos de vida y esperanza, 1905
« Lo fatal »
Dichoso el árbol que es apenas sensitivo, y más la piedra dura, porque ésa ya no siente, pues no hay dolor más grande que el dolor de ser vivo, ni mayor pesadumbre que la vida consciente.
Ser y no saber nada, y ser sin rumbo cierto, y el temor de haber sido y un futuro terror… ¡Y el espanto seguro de estar mañana muerto, y sufrir por la vida y por la sombra y por
lo que no conocemos y apenas sospechamos, y la carne que tembló de frío que ya no siente, y la materia que fue y será buena y santa, ¡y no saber adónde vamos, ni de dónde venimos!…
« Le Fatal »
Heureux l’arbre qui n’est à peine que sensitif, et plus heureuse encore la pierre dure, car elle ne sent rien, car il n’y a pas de douleur plus grande que celle d’être vivant, ni de plus lourd chagrin que la vie consciente.
Être et ne rien savoir, et être sans route certaine, et la peur d’avoir été et une terreur future… Et la certitude de l’effroi d’être mort demain, et souffrir pour la vie et pour l’ombre et pour
ce que nous ne connaissons pas et que nous soupçonnons à peine, et la chair qui a tremblé de froid et ne sent plus, et la matière qui fut et sera bonne et sainte, et ne pas savoir où nous allons, ni d’où nous venons !…
Source : Rubén Darío, Cantos de vida y esperanza, 1905
« A Roosevelt »
Es con voz de la Biblia, o verso de Walt Whitman, que habría que llegar hasta ti, Cazador! Primitivo y moderno, sencillo y complicado, con algo de Washington y algo de Nemrod.
Eres los Estados Unidos, eres el futuro invasor de la América ingenua que tiene sangre indígena, que aún reza a Jesucristo y aún habla en español.
Eres fuerte, eres joven, eres hermoso y eres audaz; tienes la sangre de los pioneros, y el espíritu de los puritanos… ¡Eres grande! Te saludo. Pero mi voz viene de lejos, desde el fondo de la América, desde un país pequeño, desde un país de árboles, de volcanes y de lagos, desde el Nicaragua dulce que se llama mi hogar.
« À Roosevelt »
C’est avec une voix biblique, ou un vers de Walt Whitman, qu’il faudrait t’atteindre, Chasseur ! Primitif et moderne, simple et compliqué, avec quelque chose de Washington et quelque chose de Nemrod.
Tu es les États-Unis, tu es l’envahisseur futur de l’Amérique naïve qui a du sang indien, qui prie encore Jésus-Christ et parle encore espagnol.
Tu es fort, tu es jeune, tu es beau et tu es audacieux ; tu as le sang des pionniers, et l’esprit des puritains… Tu es grand ! Je te salue. Mais ma voix vient de loin, du fond de l’Amérique, d’un petit pays, d’un pays d’arbres, de volcans et de lacs, du Nicaragua doux que j’appelle mon foyer.
Source : Rubén Darío, Cantos de vida y esperanza, 1905
« Margarita Rubén »
Margarita, está linda la mar, y el viento, lleva esencia sutil de azahar; tu alma es el espejo de un día de abril.
Tu risa es el canto de un ave en celo; tu boca, una rosa de grana, y en tu cuerpo de nieve hay un alma de lava.
Tus ojos son dos luceros, dos esmeraldas; tu mirada, un rayo de luz que mata.
¡Oh, Margarita Rubén, mi amor, cuando te miro, tiemblo de pasión y de amor!
« Margarita Rubén »
Marguerite, la mer est belle, et le vent, porte une essence subtile de fleur d’oranger ; ton âme est le miroir d’un jour d’avril.
Ton rire est le chant d’un oiseau en rut ; ta bouche, une rose de grenat, et dans ton corps de neige il y a une âme de lave.
Tes yeux sont deux étoiles, deux émeraudes ; ton regard, un rayon de lumière qui tue.
Ô, Margarita Rubén, mon amour, quand je te regarde, je tremble de passion et d’amour !
Source : Rubén Darío, Azul…, 1888
Canto de esperanza
Un gran vuelo de cuervos mancha el azul celeste. Un soplo milenario trae amagos de peste. Se asesinan los hombres en el extremo Este.
¿Será que ha venido el que la tierra aguarda? ¿El sol refrena el paso y el juicio se retarda? ¡La mano de Dios suena y en el cielo se darda!
¡Oh, Señor Jesucristo! ¿por qué tardas, qué esperas para tender tus manos de luz sobre las fieras y hacer brillar al sol tus divinas banderas?
Surge de pronto y lanza tu divino relámpago, haz que el pantano baje y se limpie el fétido amago y que en la paz del aire sea el alma un lago.
Chant d'espérance
Un grand vol de corbeaux tache le bleu céleste.
Un souffle millénaire apporte des menaces de peste.
Les hommes s'assassinent à l'extrême Est.
Serait-ce que celui que la terre attend est venu ?
Le soleil freine-t-il son pas et le jugement tarde-t-il ?
La main de Dieu sonne et dans le ciel se darde !
Oh, Seigneur Jésus-Christ ! pourquoi tardes-tu, qu'attends-tu pour tendre tes mains de lumière sur les bêtes féroces et faire briller au soleil tes divines bannières ?
Surgis soudain et lance ton divin éclair, fais que le marécage baisse et que se nettoie la fétide menace et que dans la paix de l'air l'âme soit un lac.
Lien source : https://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/cantos-de-vida-y-esperanza--0/html/
Salutación del optimista
Inclínate, oh frente, ante el invisible altar. Besa la tierra húmeda, siente el soplo del mar. Tú, que tienes la fe, tienes la fuerza de amar.
La luz de los antiguos soles brilla en el viento, hay un nuevo vigor en el sagrado fermento de la raza que surge bajo el firmamento.
Uníos, brillad, sed un solo haz de luz, llevad sobre los hombros la gloriosa cruz de la lengua que expande su luz y su luz.
¡Salud, oh pueblos libres! ¡Salud, oh raza fuerte! Vuestra es la vida, vuestra es la suerte, porque habéis vencido el miedo a la muerte.
Salutation de l'optimiste
Incline-toi, oh front, devant l'autel invisible.
Baise la terre humide, sens le souffle de la mer.
Toi, qui as la foi, tu as la force d'aimer.
La lumière des anciens soleils brille dans le vent, il y a une vigueur nouvelle dans le ferment sacré de la race qui surgit sous le firmament.
Unissez-vous, brillez, soyez un seul faisceau de lumière, portez sur vos épaules la glorieuse croix de la langue qui répand sa lumière et sa lumière.
Salut, oh peuples libres ! Salut, oh race forte ! À vous est la vie, à vous est le sort, car vous avez vaincu la peur de la mort.
Lien source : https://cvc.cervantes.es/literatura/escritores/dario/poesia/cantos_vida/salutacion.htm
Los motivos del lobo
El varón que tiene corazón de lis, alma de querube, lengua celestial, el mínimo y dulce Francisco de Asís, está con un rudo y torvo animal, bestia temerosa, de sangre y de robo, las fauces de furia, los ojos de mal: ¡el lobo de Gubbia, el terrible lobo!
Francisco se acerca, le dice: ¡Hermano lobo! vienes a mi mesa, compartes mi pan, deja la montaña, olvida tu robo, que en el corazón de los hombres hay afán. Y el lobo de Gubbia, humilde y vencido, promete la paz en el nombre de Dios, y baja a la aldea, de amor conmovido, al lado del santo, siguiendo su voz.
Les motifs du loup
L'homme qui a un cœur de lys, une âme de chérubin, une langue céleste, le petit et doux François d'Assise, est avec un animal rude et farouche, bête effrayante, de sang et de vol, les mâchoires de furie, les yeux de mal : le loup de Gubbio, le terrible loup !
François s'approche, lui dit : Frère loup ! viens à ma table, partage mon pain, quitte la montagne, oublie ton vol, car dans le cœur des hommes il y a de l'ardeur. Et le loup de Gubbio, humble et vaincu, promet la paix au nom de Dieu, et descend au village, ému d'amour, au côté du saint, suivant sa voix.
Lien source : https://www.poemas-del-alma.com/los-motivos-del-lobo.htm
Présentation
La poésie de Ruben Dario est une architecture de sons où chaque vers est conçu pour résonner comme une note de musique. En brisant la rigidité de la métrique espagnole traditionnelle, il a permis à la langue de respirer une liberté nouvelle. Son modernisme n'est pas qu'une affaire de décorations ou de mythologies antiques ; c'est une exploration de la condition humaine prise entre l'aspiration à la beauté absolue et la réalité de la déchéance physique. Il utilise les symboles comme des clés pour ouvrir des portes vers une réalité supérieure, où l'harmonie des contraires devient possible. Son influence a été si vaste qu'elle a touché tous les poètes de langue espagnole du vingtième siècle, de Garcia Lorca à Pablo Neruda.
Biographie
Ruben Dario naît au Nicaragua en 1867. Élevé par ses grands-tantes, il manifeste très tôt un génie pour la rime et le rythme. Sa vie est un voyage sans fin à travers l'Amérique latine et l'Europe. Il vit à Santiago du Chili, à Buenos Aires, à Madrid et à Paris. C'est à Paris qu'il rencontre ses maîtres, les symbolistes français, dont il admire la capacité à suggérer l'invisible par le langage. Il mène une double vie de diplomate et de bohème, écrivant pour les plus grands journaux de son temps tout en produisant une œuvre poétique qui change le cours de l'histoire littéraire. Malgré son succès international, il reste hanté par la peur de la mort et la recherche d'une foi stable. Il retourne mourir dans sa patrie en 1916, célébré comme le père spirituel de tout un continent.
Bibliographie
Oeuvres majeures
- Azul, publié à Valparaiso en 1888. Ce recueil de poèmes et de nouvelles en prose est considéré comme l'acte de naissance du modernisme. Il introduit une esthétique nouvelle, cosmopolite et précieuse. Lien source : https://www.cervantesvirtual.com/obra/azul--0/
- Prosas profanas y otros poemas, publié à Buenos Aires en 1896. C'est l'apogée de sa période esthétique et galante, où la musicalité du vers atteint une perfection technique inégalée. Lien source : https://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/prosas-profanas--0/html/
- Cantos de vida y esperanza, los cisnes y otros poemas, publié à Madrid en 1905. Ce recueil marque un tournant vers une poésie plus grave, politique et existentielle, abordant les thèmes de l'identité hispanique et de la peur de la mort. Lien source : https://cvc.cervantes.es/literatura/escritores/dario/poesia/cantos_vida/default.htm
- El canto errante, publié à Madrid en 1907. Une oeuvre de maturité qui explore la figure du poète comme voyageur éternel et témoin de son temps. Lien source : https://www.cervantesvirtual.com/obra/el-canto-errante--0/
- Poema del otoño y otros poemas, publié à Madrid en 1913. Un recueil marqué par la mélancolie et une réflexion profonde sur le déclin et la sagesse. Lien source : https://www.poesi.as/Ruben_Dario_Poema_del_otono_y_otros_poemas_1913.htm
Essais et chroniques
- Los raros, publié en 1896. Une série de portraits littéraires de ses maîtres et contemporains, notamment des auteurs français comme Verlaine ou Lautréamont. Lien source : https://www.cervantesvirtual.com/obra/los-raros--0/
- España contemporánea, publié en 1901. Chroniques journalistiques sur la situation culturelle et politique de l'Espagne après la perte de ses dernières colonies. Lien source : https://www.cervantesvirtual.com/obra/espana-contemporanea--0/
Autobiographie
- La vida de Rubén Darío escrita por él mismo, publié en 1912. Un document essentiel pour comprendre la genèse de son oeuvre et les tourments de son existence nomade. Lien source : https://www.cervantesvirtual.com/obra/la-vida-de-ruben-dario-escrita-por-el-mismo--0/
Editions de référence en français
- Oeuvres poétiques, édition établie et traduite par René L.F. Durand, publiée chez Gallimard. C'est l'ouvrage de référence pour accéder à l'intégralité du souffle darioen en langue française.
- Ruben Dario : l'or et le sang, essai et choix de textes par Jean de Milleret, publié aux éditions Seghers dans la collection Poètes d'aujourd'hui.