Le dépôt
69 - ZOOM CLAUDEL
Paul Claudel (1868–1955)
Poète, dramaturge et diplomate, Paul Claudel occupe une place monumentale dans la littérature du XXe siècle. Sa poésie est une tentative de « co-naissance » au monde, une célébration de la Création où le mot cherche à épouser la totalité du réel.
Poèmes (Extraits et Versets)
L’Esprit et l’Eau (Extrait)
(Tiré de « Cinq Grandes Odes », 1910)
Après le long silence de l’hiver,
Après l’immense silence de la terre pendant que l’on ne voit que le ciel qui remue,
Voici de nouveau que mon âme s’ouvre et que je recommence à parler !
Voici le grand souffle de l’Esprit qui m’emporte, voici la marée de l’Eternité qui monte !
Ô mon Dieu, je ne demande rien, je suis ici, je regarde, je rends grâce.
Je suis le témoin de la lumière, je suis celui qui voit et qui se tait.
Obsession
(Tiré de « Connaissance de l'Est », 1900)
Tout ce que je regarde, c’est comme si je le mangeais.
Je ne peux pas voir une chose sans qu’elle entre en moi.
Je suis l’homme qui a soif de tout ce qu’il voit,
Et mon regard est comme une bouche qui ne se ferme jamais.
Le monde est une parole que Dieu m’adresse,
Et je dois répondre avec mon propre souffle.
La Muse qui est la Grâce (Extrait)
(Tiré de « Cinq Grandes Odes », 1910)
Ne me demandez pas de mesure, car je n’en ai point !
Mon rythme est celui de la mer, mon pas est celui du géant !
Je marche sur les montagnes, je traverse les abîmes,
Et ma voix est comme le tonnerre qui roule dans les nuées.
Je ne chante pas pour plaire, je chante pour exister !
Ballade
(Tiré de « Feuilles de Saints », 1925)
Le temps s’en va, le temps s’en va, mon âme,
Et nous nous en allons avec lui.
Mais ce qui demeure, c’est l’amour,
Ce qui demeure, c’est la flamme que nous avons allumée
Dans le noir de la nuit.
Ne pleure pas sur ce qui passe,
Regarde ce qui vient !
Prière pour le dimanche matin
(Tiré de « Corona Benignitatis Anni Dei », 1915)
Voici le jour que le Seigneur a fait !
La terre est propre comme un sou neuf,
L’herbe brille sous la rosée,
Et le soleil monte comme un pain chaud.
Merci, mon Dieu, pour ce monde qui recommence,
Merci pour mes yeux qui voient,
Merci pour mon cœur qui bat.
II. Présentation : La Poétique du Verset
Le Souffle Contre la Forme
Claudel rejette l'alexandrin traditionnel qu'il juge trop étroit. Il invente le verset claudélien : une phrase longue, rythmée par la respiration, qui permet d'embrasser la complexité du monde. Pour lui, le poète est celui qui "nomme" les choses pour les faire exister devant Dieu.
Thèmes Majeurs
- La Co-naissance : Mot-clé chez Claudel. Écrire, c'est naître avec le monde.
- L'Universalité : Diplomate en Chine, au Japon, aux USA, il intègre la géographie mondiale dans sa poésie. Connaissance de l'Est est un chef-d'œuvre de poésie en prose inspiré par l'Asie.
- Le Sacré : Sa conversion brutale à Notre-Dame de Paris en 1886 place toute son œuvre sous le signe d'une foi ardente, charnelle et parfois violente.
Espace Bibliographique
Cinq Grandes Odes Gallimard (1910)
Connaissance de l'Est Mercure de France (1900)
Cycle LiturgiqueCorona Benignitatis Anni DeiNRF (1915)
Édition de Référence Œuvre poétique Bibliothèque de la Pléiade
ADDENDUM
L'impact de la poésie sur le corps n'est pas une simple métaphore littéraire ; c'est une réalité biologique et neurologique. Nous allons explorer ce "corps poétique" à travers des extraits longs de Claudel et une analyse de la neuro-poétique.
I. Le Poème comme Respiration (L'impact physiologique)
Pour Paul Claudel, le poème agit d'abord sur les poumons. Le verset n'est pas une unité logique, mais une unité respiratoire. En lisant un poème à voix haute, vous imposez à votre diaphragme et à votre cœur un rythme nouveau.
Voici un extrait de la "Maison Fermée" (Cinq Grandes Odes), où Claudel décrit précisément cette physiologie de l'inspiration :
« Ô mon âme ! le poème n'est point fait de ces lettres que je plante comme des clous, mais du blanc qui reste sur le papier. Ton poème, ô mon âme, ne sera point fait de ces mots que je prononce, mais de ce souffle que je retiens. C’est ainsi que le poète ne cherche point à s’expliquer, mais à s’ouvrir. Il ne cherche point à convaincre, mais à donner passage. Comme le sang qui bat dans les veines, comme le cœur qui bat dans la poitrine, Le rythme n’est pas une règle que l’on suit, c’est une force que l’on subit. Et quand je parle, ce n'est pas moi qui parle, c'est le monde qui parle en moi, C’est l’univers qui respire par ma bouche, Et chaque parole est un battement de ce grand cœur qui ne s'arrête jamais. »
L'Impact Thérapeutique : Pourquoi le poème "soigne" ?
L'impact thérapeutique de la poésie (souvent appelée bibliothérapie ou poéthérapie) repose sur trois piliers scientifiques et existentiels :
1. La Synchronisation Cardiaque
Des études en neurosciences ont montré que la lecture de poèmes structurés (comme le verset ou l'alexandrin) favorise la cohérence cardiaque. Le rythme du texte se synchronise avec le système nerveux autonome, réduisant le taux de cortisol (hormone du stress). (Manque de références)
2. La Catharsis du "Mot Brut"
Comme le soulignait Pierre Lamarque dans sa pratique de médecin-poète, le poème est une "ordonnance sans diagnostic".
- Le pouvoir de nomination : Nommer une souffrance ("sang", "os", "vide"), c'est la sortir de l'indifférencié pour lui donner une forme. Une fois que la douleur est "mise en mots", elle devient un objet extérieur au corps, plus facile à porter.
- La plasticité cérébrale : La poésie utilise des métaphores qui forcent le cerveau à créer de nouvelles connexions synaptiques. Elle "dé-fige" les pensées obsessionnelles.
3. La Vibration Sonore
Le poème agit comme un massage interne. Les voyelles (ouvertes ou fermées) et les consonnes (percutives ou fluides) font vibrer la cage thoracique et la boîte crânienne. C'est une thérapie par le son qui réaccorde l'individu avec sa propre fréquence.
Un Texte de "Grand Souffle" pour le Corps
Pour ressentir cet impact, voici un passage de "L'Esprit et l'Eau" qui illustre cette dilatation du corps par le texte :
« Je vous salue, ô monde nouveau à mes yeux, ô monde maintenant total ! Tout l’octave de la création, depuis le premier cri de l’oiseau jusqu’à la dernière étoile qui s’éteint ! Tout est présent, tout est ensemble, tout est un seul chant de gloire qui ne finit pas ! Et moi, je suis au milieu, je suis le point où tout se rejoint, Je suis l’homme qui reçoit et qui donne, je suis le vase de l'esprit ! Mon corps n'est plus une prison, c'est un temple dont les portes sont grandes ouvertes, Et le vent de l'éternité s'y engouffre, et le feu de la vie m'embrase, Et je ne suis plus qu'un seul cri, un seul élan, une seule flamme vers le ciel ! »
Conclusion : Le Poème est une Ordonnance
Lire de la poésie, c'est pratiquer une gymnastique de l'esprit et de l'âme. L'âme joint l'esprit et le corps en un sens, le sens de l'âme. Lire de la poésie c'est réapprendre à habiter son corps non plus comme une machine souffrante, mais comme un instrument de résonance. Composer de la poésie c'est fleurir.