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PLACE AUX POÈMES

LIVRE ZOOM

88 - ZOOM DARWICH



POÈMES


1. « Carte d’identité » (بِطَاقَةُ هُوِيَّةٍ)


سَجِّلْ أَنَا عَرَبِيٌّ رَقْمُ بِطَاقَتِي خَمْسُونَ أَلْفًا أَوْلَادِي ثَمَانِيَةٌ وَالتَّاسِعُ يَأْتِي بَعْدَ الصَّيْفِ فَغَضَبْ

سَجِّلْ أَنَا عَرَبِيٌّ عَمَلِي مَعَ رِفَاقِ الْمِعَانَاةِ فِي الْحِجَارَةِ أَطْعِمُ ثَمَانِيَةً وَأَشْرَبُ الشَّايْ وَأَلْبَسُ الثَّوْبَ مَا هِيَ جَرِيمَتِي؟

سَجِّلْ أَنَا عَرَبِيٌّ اسْمِي لَا نَكْتَةٌ بِسِحْرِ الْكَلَامِ فَغَضَبْ

سَجِّلْ أَنَا عَرَبِيٌّ تَرَكَتُ الْقُرَى وَالْغَابَ وَالْأَحْبَابَ وَسَافَرْتُ فَغَضَبْ

سَجِّلْ أَنَا عَرَبِيٌّ تَحْتَ الْقُبَّعَةِ «الْخَوْذَةِ» «الْخُوْذَةِ» وَفَوْقَ الصَّدْرِ الْعَارِي مِشْعَلِي وَفَوْقَ الْعَارِي جُرْحِي وَفِي رَاحَتِي حَجَرٌ أَرْمِي بِهِ الْغُزَاةَ فَغَضَبْ

سَجِّلْ أَنَا عَرَبِيٌّ تَسْلُبُونَ كَرَمِي بِكُلِّ الْأَلْفَاظِ فَغَضَبْ

سَجِّلْ أَنَا عَرَبِيٌّ لَا أَحِبُّ الْمُتَكَاسِلِينَ وَلَا أَسْأَلُ الصَّدَقَةَ مِنْ أَحَدٍ وَلَا أَكُونُ عَبْدًا لِلْعَبِيدِ فَغَضَبْ

سَجِّلْ أَنَا عَرَبِيٌّ بِاسْمِ الْحُبِّ الْمُحَرَّمِ أُقَاتِلُ


Traduction française Carte d’identité


Inscris ! Je suis arabe

Le numéro de ma carte : cinquante mille J’ai huit enfants

Et le neuvième viendra après l’été

Te mettras-tu en colère ?


Inscris ! Je suis arabe Je travaille avec mes camarades de peine dans la carrière

Je fais manger huit bouches et je bois le thé et je porte les haillons

Quel est mon crime ?


Inscris ! Je suis arabe

Mon nom n’est pas une tache

Ni un titre de honte

Te mettras-tu en colère ?


Inscris ! Je suis arabe

J’ai quitté les villages, les forêts, les êtres aimés

Et je suis parti

Te mettras-tu en colère ?


Inscris ! Je suis arabe

Sous le casque

Et sur ma poitrine nue

Ma flamme

Et sur ma poitrine nue

Ma blessure

Et dans ma paume

Une pierre

Que je lance contre les envahisseurs

Te mettras-tu en colère ?


Inscris ! Je suis arabe

Vous usurpez les biens de mon héritage

Par tous les mots

Te mettras-tu en colère ?


Inscris ! Je suis arabe

Je n’aime pas les paresseux

Je ne tends pas la main

Je ne me soumets pas

Te mettras-tu en colère ?


Inscris ! Je suis arabe

Au nom de l’amour interdit

Je me bats.



2. « Étranger dans une lointaine ville » (غَرِيبٌ فِي مَدِينَةٍ بَعِيدَةٍ)



عِنْدَمَا كُنْتُ صَغِيرًا وَجَمِيلًا كَانَتِ الْوَرْدَةُ دَارِي وَالْيَنَابِيعُ بِحَارِي صَارَتِ الْوَرْدَةُ جُرْحًا وَالْيَنَابِيعُ ظَمْأً

هَلْ تَغَيَّرْتُ كَثِيرًا؟ مَا تَغَيَّرْتُ كَثِيرًا عِنْدَمَا نَرْجِعُ كَالرِّيحِ إِلَى مَنَازِلِنَا

حَدِّقِي فِي وَجْهِي تَجِدِي الْوَرْدَ نَخِيلًا وَالْيَنَابِيعُ عَرَقًا تَجِدِينِي مِثْلَمَا كُنْتُ صَغِيرًا وَجَمِيلًا




Traduction française Étranger dans une lointaine ville


Lorsque j’étais petit enfant, bel enfant,

La rose était ma maison et les sources mes océans.

La rose est devenue blessure et les sources sont devenues soif.

Ai-je beaucoup changé ? Je n’ai pas beaucoup changé.

Le jour où comme le vent nous retournerons chez nous,

Regarde bien mon visage, tu verras la rose devenue palmier,

Et les sources, sueurs.

Tu me retrouveras tel que j’étais,

Petit enfant, bel enfant


.

3. « À ma mère » (إِلَى أُمِّي)


أَنَا ذَاهِبٌ إِلَى أُمِّي أَنَا ذَاهِبٌ كَمَا تَذْهَبُ الْأَطْفَالُ إِلَى أُمَّهَاتِهَا إِذَا جَاعَتْ إِذَا خَافَتْ إِذَا أَحَبَّتْ

أَنَا ذَاهِبٌ إِلَى أُمِّي أَنَا ذَاهِبٌ كَمَا يَعُودُ الْمُهَاجِرُ إِلَى وَطَنِهِ بَعْدَ سِنِينَ مِنَ الْغُرْبَةِ أَنَا ذَاهِبٌ كَمَا يَعُودُ الْمَاءُ إِلَى نَهْرِهِ بَعْدَ أَنْ يَكُونَ قَدْ جَفَّتْ أَنْهَارُهُ

أَنَا ذَاهِبٌ إِلَى أُمِّي لِأَرْوِيَ مِنْ دُمُوعِهَا ظَمَأَ طُفُولَتِي وَلِأُعِيدَ لِلْأَشْجَارِ أَغْنِيَتَهَا وَلِلْعُصْفُورِ أَغْنِيَتَهُ وَلِلْحِجَارَةِ أَغْنِيَتَهَا

أَنَا ذَاهِبٌ إِلَى أُمِّي لِأَقُولَ لَهَا: إِنَّنِي لَمْ أَمُتْ إِنَّنِي حَيٌّ كَمَا كُنْتُ إِنَّنِي حَيٌّ كَمَا تَحْلُمُ الْأُمَّهَاتُ


Traduction française À ma mère


Je vais vers ma mère,

Je vais comme vont les enfants vers leurs mères

Quand ils ont faim,

Quand ils ont peur,

Quand ils aiment.

Je vais vers ma mère,

Je vais comme revient l’exilé vers sa patrie

Après des années d’éloignement,

Je vais comme revient l’eau à son lit

Après que ses rivières se soient asséchées.

Je vais vers ma mère

Pour étancher la soif de mon enfance avec ses larmes,

Pour rendre aux arbres leur chant,

À l’oiseau son chant,

Aux pierres leur chant.

Je vais vers ma mère

Pour lui dire :

Je ne suis pas mort,

Je suis vivant comme je l’étais,

Je suis vivant comme les mères le rêvent.



4. « État de siège » (حَالَةُ حِصَارٍ) – Poème complet (extrait long)

Mahmoud Darwich


هَذَا هُوَ الْحِصَارُ: أَنَامُ مَعَكِ، أَسْتَيْقِظُ مَعَكِ، أَحْلُمُ بِكِ، أَكْتُبُ عَلَيْكِ، أَشْرَبُ قَهْوَةً فِي كَفِّكِ، أَضَعُ خَرِيطَتِي عَلَى خَرِيطَتِكِ، أُصَلِّي لِلْإِلَهِ لِيُشْفِيَ جُرْحَكِ، أُصَلِّي لِلْإِلَهِ لِيَرْحَمَ مَوْتَاكِ، أُصَلِّي لِلْإِلَهِ لِيُعِيدَ لِي وَطَنِي.

هَذَا هُوَ الْحِصَارُ: أَكْتُبُ وَأَمْحُو، أَكْتُبُ وَأَمْحُو، كَمَا يَفْعَلُ الْأَطْفَالُ عَلَى شَاطِئِ الْبَحْرِ رَسْمًا بَعْدَ رَسْمٍ عَلَى الْمَاءِ.

هَذَا هُوَ الْحِصَارُ: أَسْأَلُكَ: هَلْ تَذْكُرِينَ الْوَرْدَ؟ تَجِيبِينَ: نَعَمْ، أَذْكُرُهُ كَمَا أَذْكُرُ دَمِي. أَسْأَلُكَ: هَلْ تَذْكُرِينَ الْخُبْزَ؟ تَجِيبِينَ: أَذْكُرُهُ كَمَا أَذْكُرُ وَجْهَ أُمِّي.

هَذَا هُوَ الْحِصَارُ: نَحْنُ هُنَا فِي دَاخِلِ الْحِصَارِ وَأَنْتُمْ هُنَاكَ فِي خَارِجِهِ فَمَنْ يَرْفَعُ الْحِصَارَ عَنْ وَجْهِ الْأَرْضِ؟ مَنْ يَرْفَعُ الْحِصَارَ عَنْ وَجْهِ الْقَمَرِ؟


Traduction française État de siège


Voici le siège :

Je dors avec toi, je me réveille avec toi,

Je rêve de toi, j’écris sur toi,

Je bois mon café dans ta paume,

Je pose ma carte sur ta carte,

Je prie Dieu pour qu’Il guérisse ta blessure,

Je prie Dieu pour qu’Il ait pitié de tes morts,

Je prie Dieu pour qu’Il me rende ma patrie.

Voici le siège : J’écris et j’efface, j’écris et j’efface,

Comme le font les enfants sur le sable de la mer,

Dessin après dessin sur l’eau.

Voici le siège :

Je te demande :

Te souviens-tu de la rose ?

Tu réponds :

Oui, je m’en souviens comme je me souviens de mon sang.

Je te demande :

Te souviens-tu du pain ?

Tu réponds :

Je m’en souviens comme je me souviens du visage de ma mère.

Voici le siège :

Nous sommes ici, à l’intérieur du siège,

Et vous êtes là, à l’extérieur.

Alors qui lèvera le siège du visage de la terre ?

Qui lèvera le siège du visage de la lune ?



5. « Nous choisirons Sophocle » (نَخْتَارُ سُوفُوكْلِيسَ)


نَخْتَارُ سُوفُوكْلِيسَ لِيَكْسِرَ الْحَلْقَةَ نَحْمِلُ أَسْقِفَةَ الْبُيُوتِ لِكَيْ تَلْبَسَ الظِّلَالُ أَجْسَادَنَا نَخْتَارُ سُوفُوكْلِيسَ لِيَكْتُبَ مَأْسَاتَنَا فِي مَسْرَحِ الْعَالَمِ نَخْتَارُ سُوفُوكْلِيسَ لِيَقُولَ لِلْأَعْدَاءِ: هَذَا جَسَدِي، هَذَا دَمِي، هَذَا أَرْضِي.

نَخْتَارُ سُوفُوكْلِيسَ لِيُعَلِّمَنَا كَيْفَ نَمُوتُ وَحْدَنَا كَيْفَ نَعِيشُ مَعًا كَيْفَ نَحْتَفِلُ بِالْحَيَاةِ كَيْفَ نَبْكِي عَلَى الْمَوْتَى كَيْفَ نَبْنِي الْمُسْتَقْبَلَ مِنْ أَنْقَاضِ الْمَاضِي.

نَخْتَارُ سُوفُوكْلِيسَ لِيَكُونَ شَاهِدًا عَلَى أَنَّنَا كُنَّا هُنَا عَلَى أَنَّنَا سَنَبْقَى هُنَا عَلَى أَنَّنَا نَحْنُ الْأَحْيَاءَ.



Traduction française


Nous choisirons Sophocle


Nous choisirons Sophocle pour briser le cercle,

Nous portons les toits des maisons

Pour que les ombres s’habillent de nos corps.

Nous choisirons Sophocle pour qu’il écrive notre tragédie

Sur la scène du monde,

Nous choisirons Sophocle pour dire aux ennemis :

Voici mon corps, voici mon sang, voici ma terre.

Nous choisirons Sophocle pour nous apprendre

Comment mourir seuls,

Comment vivre ensemble,

Comment célébrer la vie,

Comment pleurer les morts,

Comment construire l’avenir des ruines du passé.

Nous choisirons Sophocle pour qu’il soit témoin

Que nous étions ici,

Que nous resterons ici,

Que nous sommes les vivants.




PRÉSENTATION


Mahmoud Darwich (1941–2008) est né à Al-Birwa, en Galilée. Poète palestinien majeur, il incarne la voix d’un peuple en exil. Son œuvre, marquée par la Nakba, l’occupation et la quête d’identité, mêle lyrisme et engagement politique. Il publie son premier recueil, Asâfir bilâ ajniha (Oiseaux sans ailes), à 19 ans. En 1988, il rédige la Déclaration d’indépendance palestinienne. Son style, d’abord classique, évolue vers une poésie libre, épique et intime, souvent qualifiée de mémoire vive de la Palestine.

Exilé pendant des décennies, Darwich collabore avec des traducteurs comme Elias Sanbar, qui rend son œuvre accessible en français. Ses poèmes, lus et chantés dans le monde arabe, transcendent les frontières et deviennent des symboles de résistance et d’humanité.


BIBLIOGRAPHIE


Recueils majeurs (en arabe et traductions françaises)

  • La Terre nous est étroite et autres poèmes, trad. Elias Sanbar, Gallimard, 2000.
  • État de siège, trad. Elias Sanbar, Actes Sud, 2004.
  • Le Lit de l’étrangère, trad. Elias Sanbar, Actes Sud, 2000.
  • Ne t’excuse pas, trad. Elias Sanbar, Actes Sud, 2006.
  • Et la terre se transmet comme la langue, trad. Elias Sanbar, Actes Sud, 2025.
  • La Palestine comme métaphore, entretiens trad. Elias Sanbar et Simone Bitton, Actes Sud, 1997.

Ouvrages critiques et ressources

  • Elias Sanbar, Figures du Palestinien, Gallimard, 2004.
  • Abdellatif Laâbi, Anthologie de la poésie palestinienne contemporaine, Écrits des Forges, 1990.
  • Simone Bitton (réal.), Mahmoud Darwich : Et la terre, comme la langue, film documentaire, 1997.
  • Dans une rime de bois : deux poèmes de Mahmoud Darwich, éditions Pub, 2024 (traductions multilingues).

Ressources en ligne